15 Février 2014
[un livre jeunesse] La face cachée de Luna de Julie Anne Peters
par Jean-Yves, http://culture-et-debats.over-blog.com
Liam est un adolescent qui ne supporte pas qui il est. Si son corps est bien celui d'un garçon, dans sa tête il se sent fille. Il a pris le nom de Luna pour explorer sa véritable nature. Mais il ne peut le faire que la nuit dans le secret de sa chambre. Seule sa sœur, Regan, est au courant et lui prête ses habits féminins et son maquillage. Ce secret inavouable va devenir de plus en plus invivable surtout pour sa sœur, qui en soutenant son frère, sacrifie sa relation amoureuse avec Chris, ses sorties... Quand Luna décide de se montrer en plein jour sous sa forme féminine, les parents, comme on peut s'y attendre, ne sont pas prêts à accepter cette identité de leur fils. Pourtant sa décision à lui est prise : il est tout comme la lune qui doit disparaître avant de se retrouver dans toute sa rondeur. Il sera fille. Pour être totalement Luna, il part donc - en pleine nuit, en cachette - à Seattle se faire opérer définitivement.
Les romans pour adolescents qui abordent la transsexualité (lire la liste dans le lien) sont encore rares pour qu'on ne salue pas ici la publication de cet ouvrage exceptionnel.
Cette histoire racontée de façon fine, sensible et sans aucun pathos nous plonge d'emblée dans la véritable identité de Liam/Luna. Le roman aurait pu se perdre dans les nombreuses interrogations que Liam a dû se poser à un moment de son existence. Là, on est dans l'après. Pour lui la décision est prise. Il veut changer de sexe car il y a eu une "erreur". Tout est clair dans sa tête et c'est ce qui lui permet de franchir les étapes - passage de sa vie nocturne et cachée de Luna à sa vie diurne et visible - même s'il doit faire face à la pression sociale.
Cette simplicité apparente est sans doute liée au style de narration employée : en effet la narratrice du roman est la sœur de Luna (*) ; il est donc logique que le lecteur se trouve plus directement plongé dans les difficultés de la narratrice que dans celles de Luna. Et des difficultés, elle en rencontre ; quand elle nous raconte par exemple sa vision de la sortie de Luna en plein centre commercial : le "travestissement" est tellement flagrant qu'elle doit faire face à l'humiliation des passants pour continuer à soutenir son frère.
J'ai beaucoup apprécié les nombreux "feed-back" (écrits en italique) que fait Regan sur des épisodes passés de sa vie avec son frère. Ils permettent de mieux comprendre son attitude présente tout en montrant comment a évolué la relation entre eux deux.
J'ai trouvé extraordinaire (et à la fois assez peu réaliste - mais c'est un roman) qu'une sœur sacrifie une part de son existence pour aider son frère dans sa démarche identitaire. Surtout que ce dernier n'est pas toujours facile à vivre. Finalement, la solution du départ de Luna me semble la meilleure des choses qui pouvait arriver à sa sœur Regan : en partant, Luna lui offre - involontairement - la possibilité de vivre enfin pour elle.
Quand Liam/Luna part, Regan perd son frère mais elle sait aussi qu'elle aura désormais une sœur.
■ Editions Milan, Collection : Macadam, mars 2005, ISBN : 274591684X
(*) Le monde de l'édition qui parie généralement sur l'identification du lecteur avec le narrateur acceptera-t-il un jour de publier un roman où ce dernier sera le personnage transsexuel ? Il faut ajouter à sa décharge la loi du 16 juillet 1949 qui régit toujours l'édition jeunesse dont les romans pour adolescents dépendent.
Cheyne, Poèmes pour grandir, 2006, 44 p., 12,5 €.
Seuil jeunesse, 2004, 61 p. + un C.D., 22 €.
Thierry Magnier, 1998, 223 p., 10 €.
Des dragons à Manhattan, Francesca Lia Block
Neuf nouvelles originales mettant en scène des adolescentes, aux surnoms étranges, qui vivent des situations difficiles: mère folle qui se suicide, père transsexuel, ex-enfants-vedettes, punks, rockers, homosexuels, drogués, etc. Elles trouvent toutes des moyens de s'en sortir et finissent par émerger de leur passé, souvent dur et violent.
Lire la nouvelle : « Des dragons à Manhattan » : Un jeune garçon se moque de Tuck parce que cette dernière a “ deux mamans, pas de papa ”, ce qui provoque le départ de la jeune fille sur les lieux de sa naissance en quête de son père :
« Je savais que j’avais un père. Je voulais le trouver, (…) Il porterait un costume et irait à un vrai travail dans un bureau comme les autres pères (…), il se raserait le matin et son menton serait déjà piquant l’après-midi. » (p.52)
Tuck finalement va découvrir la véritable identité de son père, Irving Rose, il n’est autre qu’Izzy, son autre mère. C’est une transsexuelle, un homme qui est devenu une femme. Il y a là une véritable volonté de se démarquer d’une société normalisante : l’identité masculine ou féminine n’est pas acquise mais apparaît plutôt comme une construction sociale. Tuck est forcément surprise, mais elle accepte tout de suite ce choix tant elle aime ses parents.
« Je vous aime toutes les deux, dis-je. Même si j’aurais préféré que vous ressembliez plus à des parents normaux. (…) Je vous aime tous. Anastasia, Izzy, et Irving aussi. Je vous aime tous. » (p.94)
in « LES PETITES DEESSES » (Nouvelles), Ecole des Loisirs (coll. Médium), 1999, ISBN : 2211044816