« Faut-il commencer une transition à 9 ans? » s’interrogeait, il y a quelques jours, le quotidien américain Arizona Daily Star dans un article extrêmement complet sur les enfants transgenres, repris par le site LGBT Towleroad.
Josie Romero est une petite fille américaine, presque comme toutes les autres. Il y a quatre ans, elle a été diagnostiquée avec un trouble de l’identité de genre. Un an plus tard, ses parents, déterminés à la soutenir et à l’accompagner vers sa transition, commençaient les démarches pour changer légalement son nom de Joseph en Josie. L’enfant prévoit de commencer très prochainement un traitement pour bloquer ses hormones et empêcher sa puberté [ce processus est réversible, ndlr]. Elle espère ensuite prendre dès l’adolescence des hormones, puis bénéficier, une fois adulte, d’une opération de réassignation sexuelle.
« LA PRÉVENTION EST PRÉFÉRABLE À UNE VIE ENTIÈRE DE SOUFFRANCES »
La question des traitements hormonaux et des débuts de transition chez les enfants et les pré-adolescents transgenres fait débat et mérite d’être posée. Médecins et associations LGBT s’interrogent sur la meilleure démarche à suivre. Est-ce une bonne chose de commencer si tôt une transition? Cela parait extrêmement difficile pour un-e enfant de cet age-là de savoir qui il/elle est, qui il/elle veut devenir, ce qu’il/elle veut dans la vie. Pourtant, dans le cas de Josie et des autres enfants dans les reportages ci-dessous, le besoin est tellement sérieux et important qu’ils semblent prêts à franchir toutes les difficultés de cette transition.
« La prévention est préférable à une vie entière de souffrances », affirme le psychiatre new-yorkais Jack Drescher, membre de l’American Psychiatric Association’s Work Group on Sexual and Gender Identity Disorders. Une opinion de plus en plus partagée par les spécialistes des questions transgenre chez l’enfant, pour qui une prise en charge avant la puberté peut être une solution vers l’épanouissement, pour éviter le manque d’estime de soi, les dépressions...
Pour répondre à ceux qui pensent que ces enfants sont peut-être un peu trop jeunes pour savoir vraiment ce qu’ils veulent, Venessia Romero, la mère de la petite Josie, explique: « Josie changera d’avis sur beaucoup de chose au cour de sa vie. À l’université, elle changera peut-être de filière d’étude… Mais son groupe sanguin ne changera jamais et elle sera toujours une femme. Tout au long de sa vie Josie s’est constamment et systématiquement considérée comme une fille. Josie est une petite fille, elle a toujours été une petite fille, et grandira pour devenir une femme. Ça fait juste partie de qui elle est ».
FAMILLE, ENTRE DIFFICULTÉS ET SOUTIEN INCONDITIONNEL
La question de la transition chez les enfants ne peut pas être considérée sans un soutien total de la famille. Josie a la chance d’avoir des parents ouverts et compréhensifs, qui la soutienne et l’accompagne. Mais les choses n’ont pas toujours été si simples, pour Venessia et Joseph Romero, à comprendre et à admettre. Ce n’est que lorsqu’elle a eu 6 ans qu’ils ont autorisé Josie à vivre comme une petite fille, racontaient-ils l’année dernière dans un documentaire britannique (ci-dessous). Pendant les premières années de sa vie, ils ont essayé de la faire vivre et de l’habiller comme un garçon. Mais Josie était déterminée, elle continuait d’insister et d’affirmer qu’elle était une fille. Seule dans sa chambre, elle pouvait être aussi féminine qu’elle le voulait, et personne ne se moquait d’elle ni essayait de la rendre plus masculine, mais dès qu’on essayait de la changer, elle pleurait, se roulait par terre, arrachait le papier peint de sa chambre...
Lorsqu’un spécialiste a diagnostiqué son trouble d’identité de genre, ses parents ont compris, disent-ils, qu’il fallait l »autoriser à être ce qu’elle était vraiment et ont commencé les démarches pour changer son état civil. Et sa mère de raconter avec émotion et regrets: « Je l’ai forcée pendant quelques années à être le petit garçon qu’elle n’était pas. C’est comme un abus, j’ai abusé d’elle. Je ne voulais tellement pas la blesser ».
Il a fallu pour eux faire le deuil du fils auquel ils avaient donné naissance et de la vie qu’ils envisageaient pour lui. « Les gens se font une idée de leur enfant, avant même de l’avoir dans les bras, explique Venessia Romero dans l’Arizona Daily Star. Casser ce moule et rompre avec nos idées préconçues sur qui seront nos enfants est un combat, mais c’est la seule façon de permettre à nos enfants d’avoir la liberté de grandir et de découvrir qui ils sont vraiment. Lorsque vous avez un enfant vous devez être ouvert à tout ce que cet enfant peut être ».
La décision des Romero de soutenir leur fille leur a aussi coûté des amis et leur a demandé une réorganisation totale. Leur fille ne va par exemple plus à l’école, elle est scolarisée à la maison, car des questions aussi bêtes que les toilettes qu’elle a le droit ou non d’utiliser sont devenu un problème.
« Être « out » n’est pas facile pour les enfants transgenres et leur familles, » explique l’association
Trans Youth Family Allies (TYFA), qui rapporte que plusieurs familles qui ont des enfants trangenres ont dû déménager après avoir reçu des menaces et subi des harcèlements. Certaines rencontrent de grosses difficultés à inscrire leur enfants à l’école, parce que le certificat de naissance indique un genre différent de celui sous lequel les parents souhaitent les inscrire. D’autres, enfin, sont accusées d’exploiter leurs enfants en les soutenant.
« UN MONDE QUI N’EST PAS PRÊT POUR ELLE »?
C’est d’ailleurs le cas des Romero qui ont été largement critiqués pour avoir rendu publique l’histoire de leur fille. La famille est apparue sur la chaine National Geographic, dans le The Tyra Banks Show et dans le documentaire britannique mentionné ci-dessus.
Josie donne également régulièrement des conférences pour d’autres enfants transgenres et leur famille.
La mère de Josie répond qu’elle soutient simplement sa fille, que Josie est absolument catégorique sur le fait d’être une fille, depuis toujours, mais aussi sur le fait d’être transgenre, et qu’elle ne veut pas cacher qui elle est. Raconter son histoire, et aider les autres enfants, serait pour Josie sa façon d’assumer la sienne. « Josie est très fière de qui elle est. Pourquoi vivre avec un secret? Il ne devrait pas y avoir de honte, » insiste t-elle.
La famille ajoute n’avoir pas cherché l’attention des médias. C’est National Geographic qui a contacté l’association TYFA, qui a alors demandé aux Romero s’ils voulaient participer à un documentaire. Après en avoir longuement parlé avec la petite fille, ils ont accepté. « Ce monde ne changera pas tout seul. Je ne veux pas qu’elle grandisse dans un monde qui n’est pas prêt pour elle », conclut la mère.
Retrouvez ci-dessous un extrait du documentaire britannique (en 5 parties sur You Tube) qui relate l’histoire de Josie et de sa famille, ainsi que celle de Kyla, une autre petite fille transgenre du même age:
« SI J’AVAIS PU COMMENCER MA TRANSITION À SON ÂGE, JE L’AURAIS FAIT »
En 2007, Kim Pearson, directrice du Trans Youth Family Allies, s’occupait d’une quinzaine de familles, aujourd’hui elle en suit plus de 200, indique l’article de l’
Arizona Daily Star. « Je crois que nous sommes en plein changement générationnel, se félicite-t-elle. Avant, les enfants n’auraient jamais osé penser à en parler à leur parents de cette manière. Ils auraient reçu une fessée ou certainement pire. Demandez à des personnes qui ont fait leur transition à 50 ans et elles vous diront qu’elles savaient déjà à 5 ou 6 ans, mais elles savaient aussi qu’elles ne pouvaient pas en parler. »
« Si j’avais pu commencer ma transition à son âge, je l’aurais fait, explique à son tour Alison Davison, coordinatrice du Southern Arizona Gender Alliance. J’aurais tellement aimé avoir des parents aussi compréhensifs et qui me soutiennent. »
Un article du magazine homo suisse
360°, repris en mai dernier sur
le blog de Caphi, s’interrogeait déjà sur les trangenres précoces, notamment suite aux décisions de prise en charge de pré-ados aux Pays-Bas et en Allemagne. Pour Erika Tirion, animatrice du groupe Trans d’Espace 360, interviewée dans cet article, la nécessité d’une prise en charge précoce des adolescents ne fait aucun doute: « À cinq ans, la plupart d’entre nous savaient qu’elles étaient une fille prisonnière d’un corps de garçon. Si nous avions pu bénéficier d’un tel traitement, que de souffrances nous aurions pu éviter! ».
« NOUS AVONS VU KIM COMME UNE FILLE, PAS COMME UN PROBLÈME »
Parmi les autres témoignages intéressants sur cette question, il y a celui de la jeune allemande Kim Petras, connue pour être la plus jeune personne au monde à avoir bénéficié d’une opération de réassignation, à seulement 16 ans, après avoir commencé un traitement hormonal à l’âge de 12 ans. Elle affirme, elle aussi, avoir toujours su ce qu’elle voulait: « Je n’ai jamais vécu comme un garçon. J’ai toujours su exactement ce que j’étais ».
Elle aussi a eu la chance d’avoir une famille compréhensive, qui l’a accompagnée à travers sa transition. Et la journaliste de citer son père: « Nous avons vu Kim comme une fille, pas comme un problème. C’était une enfant lumineuse. » Retrouvez le témoignage de Kim dans la vidéo suivante:
« Suivi médical des personnes transsexuelles et changement d’état civil: État des lieux et perspectives », par Brigitte Goldberg, de Trans-Europe