«Madame Van Durme, dansez-vous dans votre spectacle?» ai-je naïvement demandé à cette collaboratrice de longue date du chorégraphe et metteur en scène Alain Platel. «Pas du tout! J'ai soixante ans, ma chérie!» s'exclame la charmante (et drôle!) Vanessa Van Durme au bout du fil, amusée par l'incongruité d'une telle idée.
N'empêche qu'elle n'aurait étonné personne en dansant, celle qui est liée d'une forte amitié artistique avec Alain Platel, qui l'a notamment dirigée dans Tous les Indiens, vu par les Montréalais en 2001 au FTA.
Parce que l'histoire qui est la sienne en est une de cran et de volonté. Pour subir un changement de sexe dans les années 70, il fallait être drôlement résolu à devenir qui on est.
Après des années de prostitution et de marginalité, Vanessa Van Durme a compris que sa seule option de survie était de se rendre au Maroc et subir un changement de sexe.
«Cela nous a sauvé la vie, à moi et à beaucoup d'autres. On arrivait à l'aéroport de Casablanca, sans connaître l'adresse de l'endroit où était dispensée l'opération. On n'avait qu'à le dire au chauffeur de taxi qui connaissait la clinique de maternité où il devait nous amener. On discutait du prix et l'opération était réalisée le jour même.»
Revivre
Entrée au Conservatoire de théâtre à 17 ans, Vanessa Van Durme a abandonné le rêve de jouer quand elle a compris que jamais elle n'arriverait à jouer les jeunes premiers. Renonçant à la scène, elle s'est donc tournée vers le monde interlope.
Son changement de sexe, suivi d'un mariage et d'un divorce, lui a redonné le goût de vivre, mais elle a tardé avant de regagner la scène. «De toute façon, on n'avait pas besoin de moi. Je voulais jouer Marie Stuart, mais on engageait plutôt des jeunes actrices.»
Van Durme a donc pris la plume, créant plusieurs pièces de théâtre et quelques sitcoms pour la télé et la radio belge. Et puis, à la fin des années 90, elle rencontre Alain Platel, qui lui confie un rôle dans Tous les Indiens.
Et le monde, depuis ce temps, est le terrain de jeu de Vanessa Van Durme.
«Platel m'a ouvert plusieurs portes», reconnaît celle qui, depuis six saisons, sillonne la francophonie avec Regarde maman, je danse. L'année prochaine, elle compte présenter la version anglaise en Australie, aux États-Unis et au Canada anglais.
«C'est surtout une pièce hommage à mes parents. Ce n'était pas simple, pour ces gens très simples, d'avoir un enfant comme moi dans les années 60-70. Pour ces gens, c'était un choc de voir leur fils arriver à la maison avec une poitrine et un visage changé. Mais ils ont été adorables.»
Pendant une heure et demie, elle interprète son propre rôle ainsi que celui de sa mère et de son père. «Cela interpelle les spectateurs. Je reçois des tas de courriels, de cartes de gens émus. Certains arrivent au spectacle avec des tas de préjugés et en sortent guéris. Ils sont très touchés par la simplicité du spectacle», dit celle qui dit préférer «un théâtre de pauvreté.»
Vanessa Van Durme, qui dirige désormais sa propre compagnie de création dans la ville de Gand en Belgique, souligne que son changement de sexe n'est pas un événement qui la préoccupe au jour le jour.
«Après toutes ces années, je n'y pense plus. C'est Alain (Platel) qui m'a forcée à écrire mon histoire. Mais pour moi, c'est quelque chose de réglé, avec laquelle je vis très bien.»
Elle ne danse peut-être plus, mais elle existe pleinement. En rose et contre tous.
Le Journal de Montréal, 3-12-2008
Côté préjugés, on peut dire que dame Van Durme a vu neiger. Faut dire que changer de sexe en 1975 n'était pas une mince affaire, que si la transsexualité demeure un sujet tabou, il y a une trentaine d'années, il était hors de question que les gens s'aventurent sur le sujet miné. «L'opération n'existait nulle part chez nous, fallait aller à Casablanca dans une petite clinique médiocre où un médecin faisait des petits miracles dans son coin», relate la créatrice.
Alors que plusieurs d'entre celles qui ont eu un parcours similaire à celui Vanessa Van Durme ont mis fin à leurs jours, celle qui avait fait ses études à la section d'art dramatique du conservatoire de Gand, en Belgique, a suivi un parcours de combattante, contre vents et marées, après même des années de prostitution dont elle ne cache pas les détails.
En guise d'exil, à l'encre de son sang et de ses larmes, elle a finalement choisi de créer, d'écrire son histoire. Seule sur scène dans une mise en scène de Frank Van Laecke, elle raconte le récit de cet enfant qui jouait à la poupée et se déguisait avec la lingerie de sa maman. Par le biais d'un langage cru, dur et explicite, sans fioritures inutiles ou paroles larmoyantes, avec un immense souci d'authenticité, l'artiste a choisi de se livrer au monde entier, d'être enfin celle qu'elle avait toujours été. «Si certains entrent dans la salle de spectacle avec des préjugés, à leur sortie, ils sont guéris, croyez-moi.»
À l'autre bout du fil, la voix de Van Durme est féminine et posée, presque cristalline, son rire est franc, contagieux. Cette femme est une survivante. Venir ici l'enchante. Après avoir promené son show un peu partout en Europe, elle avait hâte de voir notre réaction, voir si l'ouverture d'esprit des Québécois est aussi importante que ce qu'on lui a raconté.
- Regarde maman, je danse, avec Vanessa Van Durme dans une mise en scène de Frank Van Laecke. Au Théâtre La Chapelle jusqu'au 6 décembre.