5 Septembre 2009
Jogjakarta |
Ponpes Waria |
Info transmise par François-Xavier, lundi 13 octobre 2008
Jusqu’alors ils allaient prier sous les quolibets, sinon les menaces. Déguisés en homme ou en femme, ils se glissaient dans les salles de prières des mosquées, redoutant d’être démasqués. Maryani a subi ce genre d’humiliations, avant d’ouvrir, en juillet 2008, la première école coranique pour waria : les transsexuels, selon l’appellation indonésienne.
par ARNAUD VAULERIN YOGYAKARTA, envoyé spécial de Libération, 05/09/2009
Ce lieu unique dans le plus grand pays musulman au monde, qui accueille homosexuels et travestis, se niche dans une ruelle de Notoyudan, quartier calme de la cosmopolite capitale culturelle du pays, Yogyakarta. Pas de banc, de salle de lecture, ni même de mosquée dans cette école-là. Ce centre coranique est à nul autre pareil. Des trophées de concours de maquillage se mêlent à des clichés kitsch de La Mecque, des photos de shows entourent les reproductions de sourates.
Coiffeuse. Dans une salle aux murs jaunes et orangés, Maryani reçoit chez elle, sans prosélytisme. Née homme et catholique en 1960, elle est devenue femme à 15 ans. Puis elle s’est convertie à l’islam. «Dieu l’a voulu ainsi, j’ai respecté sa volonté. Mais je suis resté physiquement comme il m’a faite.»
Cette ex-prostituée et chanteuse s’est reconvertie en pieuse coiffeuse qui maquille et coiffe danseurs, artistes et futurs mariés. C’est ainsi qu’elle finance les activités du centre qui accueille régulièrement une trentaine de transsexuels, de gays et de lesbiennes.
«On accepte volontiers des hétérosexuels, s’amuse Maryani. Mais ce sont surtout les "waria" qui viennent. Eux aussi ont le droit d’être croyant. Ici, ils n’ont plus besoin de porter le mukena [le voile pour les femmes, ndlr] ou le sarong [pour les hommes, ndlr]. Ils viennent étudier et surtout apprendre les rituels, réciter le Coran et manger ensemble, sans stresser, sans menace.» Et sans séparation. Tous se retrouvent sur le carrelage blanc de la salle commune. Là sont dispensés les cours gratuits par une vingtaine d’ustadz, des enseignants musulmans, qui se relaient. Ils viennent de la grande école voisine du prêcheur Hamrolie Harun. Depuis plusieurs années, cet homme côtoie les transsexuels et s’affiche à leurs côtés. Il a encouragé la création de Senin-Kamis, le nom officiel de l’école, qui signifie simplement lundi-jeudi, les jours d’ouverture.
Respect. Certes, le Conseil des oulémas a pu s’agacer des shows de travestis destinés à chauffer la foule des meetings lors de la dernière campagne des législatives du 9 avril. Mais c’est oublier la tradition vivace des waria en Indonésie et la réalité de la diversité culturelle dans ce pays mosaïque de 235 millions d’habitants où cohabitent musulmans, chrétiens, hindouistes et bouddhistes.
A Yogyakarta, le clergé, lui, n’a rien trouvé à redire au travail dévoué de Maryani. «Le chef de la mosquée est venu. C’est une marque de respect, non ?» Un voisin passe la tête par la porte et salue. Plus tard, une femme apporte des légumes.
Le succès de Senin-Kamis repose sur les épaules de Maryani. Mariée puis divorcée, elle a adopté une fille qui a 8 ans, et se dit aujourd’hui «sereine et en paix». Elle vit sa foi avec une candeur désarmante. En matriarche dévote, Maryani veille sans compter sur son centre. «Choquée» par le tremblement de terre du 27 mai 2006, qui a fait plus de 5 000 morts à Yogyakarta, elle a commencé à collecter de l’argent auprès des transsexuels. L’idée de l’école est venue plus tard. «C’était mon destin d’ouvrir ce lieu. Avant de mourir, je veux faire du bien et aider les autres "waria".»
Elle a convaincu Tini de la rejoindre. Cette discrète pratiquante de 41 ans assiste Maryani depuis plusieurs mois. «Je vis enfin sans menace, dit-elle. Ce n’était plus possible d’endosser le sarong pour ne pas choquer les gens.» Un planning, punaisé au mur, détaille les activités : il affiche complet.