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Différences (le blog de caphi consacré à la TRANSIDENTITE et l'INTERSEXUATION)

Revues de presse et de blogs par une journaliste transgenre qui traite de la TRANSIDENTITE (appelée improprement "transsexualité").Le blog "Différences" est devenu aujourd'hui une REFERENCE FRANCOPHONE sur la TRANSIDENTITE

Ni homme, ni femme: enquête sur l'intersexuation (DOSSIER et LIENS)

Le cas litigieux de l'athlète sud-africaine Caster Semenia a mis au grand jour le destin douloureux des intersexes, celles et ceux qui naissent ni homme, ni femme. La mythologie grecque les a dénommés hermaphrodites, le langage politiquement correct d'aujourd'hui dit qu'ils/elles sont «né-es avec une ambiguïté sexuelle». Quelle que soit leur appellation, les intersexes vivent souvent mal leur particularisme. Au point que certain(e)s d'entre eux s'organisent en association pour faire entendre leur demande : l'arrêt des pratiques médicales et chirurgicales destinées à assigner à coup de bistouri un sexe à la naissance. Et s'il n'y avait pas urgence à devenir fille ou garçon ?

Longtemps appelés hermaphrodites, ils préfèrent aujourd'hui se dire intersexes. Né-es avec une ambiguïté sexuelles, ils ou elles n'ont pas choisi d'être ni hommes, ni femmes. Jusqu'à très récemment, c'étaient les médecins qui décidaient, à la naissance, d'en faire des garçons ou des filles. Aujourd'hui, les intersexes prônent le libre-choix et dans le corps médical, surtout en Suisse romande, le débat est ouvert.
Au CHUV à Lausanne, un groupe multidisciplinaire s'interroge et propose de différer le moment du choix. Seules les opérations nécessaire au bon développement physique de l'enfant sont pratiquées. Parents et médecins choisissent un «sexe social» pour permettre à l'enfant de grandir mais aucune opération irréversible n'est pratiquée...
VIDEO Voir cet excellent reportage de la télévision suisse 
"Entre deux sexes" (Durée : 52 minutes) Diffusions en octobre 2009 sur TSR2

image Un travail d'enquête capital sur les «ambiguïtés génitales».
Ni homme ni femme est le premier livre, en français et destiné au grand public, à faire le point sur une question quasiment taboue et presque inconnue de la plupart d'entre nous: comment vit-on avec des organes génitaux atypiques?
Pour y répondre, Julien Picquart a rassemblé des témoignages inédits sur le sujet. Quinze personnes racontent leur quotidien, leur parcours, leur vie sentimentale et sexuelle, les traitements hormonaux et chirurgicaux. Les parents témoignent aussi et reviennent sur leurs réactions quand ils ont découvert que leur enfant n'était pas comme les autres. Pour la première fois également, des médecins parlent, de leurs certitudes et de leurs doutes. Toutes ces personnes nous confrontent à leurs interrogations: faut-il ou non opérer? N'y a-t-il vraiment que deux sexes? Quelle importance doit-on accorder aux organes génitaux? Jusqu'où peut aller notre tolérance?
Un ouvrage accessible et profondément humain, qui bouleverse nos certitudes.

Julien Picquart est journaliste indépendant, spécialisé dans les questions liées à la sexualité. Il a déjà publié Pour en finir avec l'homophobie (Éditions Léo Scheer), Le Droit d'aimer (Syros) et L'oeil et le sexe. Sur l'exhibitionnisme (La Musardine).

Ni homme, ni femme: enquête sur l'intersexuation
par Julien Picquart
Editions La Musardine
240 pages - 16 euros - Avril 2009

Lien: Editeur
(transmis par quelsexe.com)

[une autre critique]
Q
u'est-ce qu'un homme, qu'est-ce qu'une femme ? Au-delà de la prise en charge médicale, la question de fond que posent ces troubles de l'identité sexuelle reste peu débattue en France. L'excellente enquête sur l'"intersexuation" que vient de publier le journaliste indépendant Julien Picquart, Ni homme ni femme, n'en prend que plus d'intérêt. Pour la première fois, une quinzaine de personnes y racontent leur quotidien, leur parcours, les traitements qu'ils ont reçus, leur vie sentimentale et sexuelle. Leurs pathologies sont différentes, leur âge, leur contexte familial et social également. Mais leurs questions sont toujours les mêmes. Quelle importance doit-on accorder aux organes génitaux ? N'y a-t-il vraiment que deux sexes ? Jusqu'à quel point peut-on décider de son devenir, au-delà de ce qui nous détermine ?
"Pour tous, la plus grande souffrance provient du silence, du non-dit", affirme Julien Picquart. Utopiste revendiqué, il veut croire qu'"une autre approche des variations du développement sexuel est possible, via une autre conception du sexe et du genre, une autre définition de l'humanité".
Accepter sereinement de ne pas cantonner l'être humain à un sexe ou à un autre, cela reviendrait à étendre un peu plus le champ des possibles. Celui, donc, de notre liberté. Au-delà du masculin, du féminin.
Catherine Vincent, Leblogducorps


LIRE aussi >
Ni homme ni femme, enquête sur l'intersexuation : Sur le site Vrais visages

Ni lui ni elle... alors qui ? [Le Monde du 09.08.09]


Actualités Intersexes et Intergenres > http://acturalitesis.blogspot.com

> 8 novembre : Journée des personnes intersexuées > EN SAVOIR PLUS

 

Le troisième sexe > Le cas "Karin"
La réponse médicale aux cas d'intersexués, vue par une personne directement concernée
par Jürgen Claudia Clüsserath, juillet 2002 (source : ARTE)
Les hermaphrodites ont toujours existé. Il faut donc les considérer comme des représentants naturels de l'évolution humaine. La différence des hermaphrodites n'est pas seulement physiologique  : elle se fonde manifestement aussi sur le psychique.
Des histoires d'hermaphrodites, non reconnus par la médecine et donc épargnés à la naissance et dans la petite enfance par les interventions médicales et les traumatismes qui en découlent, nous apprennent qu'ils trouvent manifestement leur place dans la société et dans la vie. Cela s'explique par l'intégrité de leur corps et de leur esprit, non perturbés par les interventions médicales et leurs nécessaires conséquences. Les hermaphrodites naissent dans un état d'intégrité physique et morale : le même que celui donné à chaque femme et à chaque homme à la naissance.

Il ne faut pas confondre cette base identitaire sexuelle innée avec l'orientation future qu'un individu choisit pour sa vie sexuelle. Ainsi les moyens médicaux actuels ne permettent pas de faire d'un homme une femme, d'une femme un homme et d'un hermaphrodite certainement pas un homme ou une femme de façon arbitraire. La théorie de John Money, selon laquelle un changement chirurgical et hormonal, c'est-à-dire artificiel, d'un corps au tout début de la vie d'un enfant va de paire avec une identification simultanée au sexe artificiellement fabriqué, est empiriquement réfutée. A partir de cet état de fait, il faut donc considérer qu'il existe bien plus de variantes dans l'identité sexuelle innée que les seuls homme et femme.

Si l'on s'appuie sur la diversité des manifestations corporelles sexuelles au moment de la naissance et sur les possibilités de diagnostic prénatal, on peut affirmer avec certitude qu'il existe trois catégories sexuelles : un aspect masculin, féminin et hermaphrodite. Il est temps désormais que notre société reconnaisse l'existence d'un "troisième sexe". L'intégration des hermaphrodites est ancienne : les Prussiens, les Celtes, les Egyptiens, les Grecs et d'autres peuples encore les connaissaient bien avant notre société évoluée. Il s'agirait plutôt de nos jours d'un progrès important en vue d'une société plus humaine, capable d'intégrer "l'autre" plutôt que de l'anéantir ou de le normaliser parfois avec violence.
La médecine ne peut affirmer qu'il n'existe que deux choix possibles pour les hermaphrodites, soit l'avortement, soit la correction, pour la simple raison que la société n'est pas encore prête à fonctionner avec eux. L'utilisation même du terme correction implique et impose par là-même qu'il existe une "bonne" façon de faire. Or un taux de "suicide réussi" d'environ 30% chez les individus auxquels un sexe a été imposé prouve que ce n'est pas le cas.

Beaucoup de médecins affirment que la société n'est pas encore prête à accepter les hermaphrodites. Mais, et c'est intéressant, le monde médical fait tout ce qui est possible et imaginable pour cacher à l'opinion publique les hermaphrodites et la problématique de l'attribution sexuelle forcée. Il freine ainsi sciemment le processus d'intégration sociale des hermaphrodites sous leur aspect naturel. Il ne se contente pas de bloquer ce processus mais essaye même de revenir en arrière. Il y a 100 ou 200 ans, le terme d'hermaphrodite était plus courant qu'aujourd'hui et figurait même dans le droit commun prussien. Ce qui n'est pas le cas, loin de là, dans nos lois si élaborées.

Le témoignage d'une femme médecin dans le premier documentaire de la soirée intitulé "Les hermaphrodites, univoque, équivoque" sur la possibilité d'avorter en cas d'enfants atteints d'hermaphrodisme est en fait une déclaration absolument méprisante à l'égard de l'homme, qui rappelle la médecine pratiquée en Allemagne entre 1936 et 1945. Je me permets de constater que de telles personnes n'ont rien à faire dans les professions médicales qui demandent un si grand tact humain.

Quelles catégories les médecins envisagent-ils pour effectuer leurs attributions sexuelles forcées chez de tous jeunes enfants ? L'exemple ci-après décrit précisément ce type de procédure. Les différentes étapes sont volontairement présentées de façon très concise en raison de leur complexité et n'ont pour but que de refléter les grands traits et les principaux résultats d'une telle attribution. Il s'agit de comprendre dans quel état les "filles" et les "garçons" quittent la salle d'opération.
Karin, un garçon pas comme les autres
Prenons le cas d'un enfant qui naît sans qu'on puisse le déclarer de façon univoque d'un sexe ou de l'autre. Une analyse chromosomique révèle la présence des chromosomes sexuels X et Y, c'est-à-dire masculins. L'échographie montre de son côté que l'enfant possède des testicules mais pas d'ovaires.
Les parents sont informés que leur enfant n'est pas totalement en bonne santé et qu'il est donc transféré dans une autre unité de soin. Le jour suivant ils apprennent que leur enfant, une fille, a un "clitoris hypertrophié" et que son vagin est en partie refermé. On leur demande alors de bien vouloir accepter la correction des "malformations" chez leur enfant. Les parents savent désormais qu'il s'agit d'une "fille" et décident de l'appeler "Karin". Le jour de son opération "Karin" a déjà 15 mois. .
J'ai voulu que la description qui suit, qui relate comment un enfant est devenu "Karin" à l'aide de moyens chirurgicaux et autres, soit la plus courte possible et se limite aux principales décisions (incisions) :

le pénis trop petit ou plutôt le "clitoris trop gros (hypertrophié)" est coupé (amputé) et une réduction clitoridienne est effectuée.

les corps caverneux sont enlevés

l'urètre est réduit à une "taille féminine" (légèrement coupé)

une ouverture est pratiquée entre l'anus et le bord inférieur du pubis et remonte à travers la musculature du plancher pelvien de ce petit corps

on prélève ensuite quelque part chez "Karin" un lambeau de peau qui est roulé en une sorte de sac, qui est ensuite cousu

ce "sac de peau" est ensuite mis en place dans l'ouverture pratiquée entre les jambes de Karin, puis fixé

si les lambeaux de peau du scrotum suffisent, ils sont employés pour former les lèvres de la vulve ; s'ils ne suffisent pas, il faut employer en plus des moyens artificiels

On enlève ensuite à "Karin" les testicules, tout de suite ou bien selon le cas plus tard, en même temps généralement que le "cæcum".

Karin est maintenant une vraie fille !

Dans les années qui suivent elle est traitée avec des hormones féminines afin qu'elle développe autant que possible des formes féminines et ne ressemble pas à  un garçon. Son néo-vagin, comme il convient d'appeler le sac de peau qui lui a été implanté, doit être dilaté par bougirage pendant des années car ce morceau de peau ne grandit pas avec le reste de l'organisme. Ce bougirage consiste à élargir et dilater le vagin artificiel année après année au rythme de ses phases de croissance à l'aide d'objets, dont la forme ressemble à un pénis, introduits avec une grande violence. Ceci se déroule généralement sous anesthésie car le procédé est très douloureux. Elle doit par ailleurs subir de nombreuses autres opérations et d'innombrables examens.

Pour lui faciliter les choses, on lui administre en plus des psychotropes. Mais un jour, alors qu'elle est quasiment adulte et demande à ses parents pourquoi elle n'a toujours pas ses règles, ceux-ci lui explique qu'elle ne pourra jamais avoir d'enfant. Elle ne pourra par ailleurs

jamais avoir à nouveau de pénis, même si elle en a rêvé des milliers de fois

jamais avoir de vie sexuelle satisfaisante

jamais faire autrement que de vivre avec le sentiment que quelque chose ne va pas avec son sexe

jamais faire autrement que de lutter contre la nausée quand un homme veut coucher avec elle

J'ai connu Karin, elle aurait aujourd'hui 27 ans. Elle est morte en 1997 de ses propres mains.
Aujourd'hui, pour les hermaphrodites, les médecins savent proposer l'avortement ou l'opération, mais à qui s'étendra ce principe demain ? Aux enfants chez qui on diagnostique un syndrome de Tourette ? Et après-demain ? A ceux que le patrimoine génétique prédispose à l'obésité ?  ...
J'espère que les médecins à l'avenir écouteront la sage déclaration du président de la chambre allemande des médecins, pour qui la médecine n'est pas là pour fabriquer des hommes sur mesure...!

lien de l'article : http://archives.arte.tv/fr/archive_33710.html
> Qu'est-ce que l'intersexuation ? [sur le site de l'association Orfeo]


L’ambigüité sexuelle au XIXe siècle
source : Les mauvaises fréquentations - Blog LeMonde.fr, 20 novembre 2009


 Voici un bien curieux petit livre, très réussi, qui satisfera ceux qui s’intéressent à l’art (ici, photographique), à l’histoire des mœurs, à l’étude des genres, à la médecine et à la philosophie. Avec L’Hermaphrodite de Nadar (Creaphis, 64 pages, 15 €), Magali Le Mens aborde, d’une manière claire, remarquablement documentée et sans voyeurisme malvenu, le regard que portait la société française du XIXe siècle sur les cas, rares mais complexes, d’hermaphrodisme. L’ouvrage inclut neuf clichés pris par Félix Tournachon, dit Nadar, l’un des grands photographes de son temps, autour desquels s’articule l’essai de l’auteur.

Magali Le Mens pose dès les premières pages les contours de la problématique : pour le XIXe siècle puritain, l’hermaphrodite brouillait trop les cartes du genre (bien involontairement, évidemment) pour être accepté. Il était considéré comme « un monstre social, individu dangereux qui [remettait] en cause l’organisation des rapports des sexes d’une société bourgeoise fondée sur l’institution du mariage fécond. […] Il était alors intolérable qu’une personne ne soit ni homme ni femme ou les deux à la fois, car de tels individus perturbaient l’ordre de la société à un moment où l’indécision n’était pas permise, et où chaque chose et chacun devait appartenir à une catégorie précise. ». Nous étions bien loin du Banquet de Platon…

La médecine se saisit donc de ces cas, non pour tenter d’en trouver l’origine, mais bien pour déterminer, avec l’acharnement que l’on devine, « le sexe véritable de l’individu » ; en d’autres termes, et sans naturellement tenir compte du sentiment des intéressés, de rassurer la société en levant arbitrairement, à l’examen des organes, toute ambigüité. Peu importait le sort de l’individu concerné; ainsi, l’un des hermaphrodite les plus célèbres de l’époque, Herculine Babin, dite Alexina B., finit par se suicider après avoir laissé un intéressant Journal qui fut publié en 1978 par Michel Foucault. Parmi les techniques les plus modernes du temps dont disposaient les médecins, la photographie s’imposait en tant que moyen de fixer l’image de façon – théoriquement – plus réaliste encore que le dessin. En outre, la photo présentait l’avantage de suppléer le langage, défaillant ou malhabile à décrire au moyen d’un relevé visuel l’indescriptible, l’innommable, l’inmontrable.

Depuis son apparition, ce procédé technique, méprisé de la critique (on se souvient de ce qu’écrivait Baudelaire à son sujet !) et des peintres (qui pressentaient l’introduction sur le marché, notamment du portrait, d’une concurrence), s’était très vite approprié le thème marginal et rémunérateur de l’érotisme. Des photographes, comme Vallou de Villeneuve ou, surtout, Auguste Belloc, réalisaient une foule de clichés à connotation sexuelle. Les nus « académiques » étaient officiellement destinés aux peintres sensés trouver ainsi des modèles à bon compte ; d’autres, dont le cadrage se limitait souvent au sexe féminin ou à des poses particulièrement explicites, s’écoulaient sous le manteau. Comme je l’ai suggéré dans mon essai consacré à L’Origine du monde, il est fort probable que Gustave Courbet se soit inspiré de l’une de ces photographies pour réaliser son célèbre tableau.

 Les tirages, de très belle qualité, exécutés par Nadar et reproduits dans le livre, ne sauraient s’apparenter à ceux de Belloc. Ils bénéficient de l’immunité due au document scientifique, renforcée à trois reprises par la présence partielle, dans la scène, d’un médecin. Pour autant, on est en droit de se demander jusqu’à quel point, pour quelques-uns d’entre eux au moins, la science n’a pas servi d’alibi. La première photo, représentant le sujet debout, un drapé à l’arrière plan, rappelle les statues antiques. Pour les autres, les cadrages s’apparentent singulièrement aux plans rapprochés de Belloc (et de L’Origine du monde) ; par ailleurs, on note une seconde similitude avec les photos de cet artiste : le modèle a conservé ses bas, relevé sa chemise et dissimule son visage avec son bras. Ces détails montrent combien l’image sexuelle peut se révéler ambivalente, combien le regard du spectateur joue un rôle capital dans l’interprétation de son sens, combien la frontière reste mince, entre le document scientifique et l’objet de curiosité, voire le support érotique. L’examen parallèle des clichés et de la toile de Courbet permet encore de souligner que la photographie ne s’imposait pas, contrairement à ce que l’on admet volontiers depuis son apparition, comme l’unique moyen de « procéder à une exacerbation du réel. » Ce n’est pas un hasard si Maxime Ducamp, l’ami de Flaubert, photographe lui-même, avait écrit que le tableau du maître-peintre d’Ornans donnait « le dernier mot du réalisme ».

L’Hermaphrodite de Nadar se complète d’un second texte assez court du philosophe Jean-Luc Nancy, consacré à la question du sexe et du genre. Evoquant dans un entretien les séminaires de Jacques Lacan, son amie Françoise Dolto avait eu le courage d’avouer que, parfois, il lui arrivait de n’y rien comprendre. S’agissant du texte du philosophe, intitulé L’un des sexes, je ferai la même confession : à l’opposé de celui, pertinent et lumineux qui occupe le corps du livre, il m’a semblé complexe et inutilement hermétique. Sans doute conviendra-t-il davantage aux lecteurs familiers des travaux de Jacques Derrida. Mais cette restriction ne vise pas à dissuader le lecteur de se plonger dans cet ouvrage à la typographie élégante, imprimé sur beau papier et réalisé par un petit éditeur spécialisé dans la photographie dont le fonds est distribué par Le Seuil.

Dans son étude, Magali Le Mens s’est attachée à replacer l’hermaphrodite dans son contexte historique et scientifique. On ne peut toutefois passer sous silence un intéressant développement concernant la langue française, dont la grammaire, note-t-elle fort justement, « construite sur l’opposition et la hiérarchie des genres », est elle-même « perturbée par l’hermaphrodite. »

 A la lecture de ce livre, on prend finalement conscience d’un phénomène que l’auteur n’aborde pas : le gouffre qui sépare l’artiste de la société dans laquelle il vit. En effet, dans ce XIXe siècle pudibond (c’est-à-dire hypocrite) et affairiste, le thème de l’ambigüité sexuelle avait aussi été traité sous un tout autre mode. Théophile Gautier, notamment, en avait fait l’un des pivots de son roman, Mademoiselle de Maupin, publié en 1835. Enfin, se référant sans doute à L’Hermaphrodite endormi, marbre du IIe siècle dont on peut voir une version au musée du Louvre, il composa l’une des pièces majeures de son recueil de poèmes Emaux et camées, intitulée Contralto. Jean-Baptiste Bouillaud, sévère médecin, proposait en 1833 de condamner les hermaphrodites à « une peine de mort civile et politique » pour protéger la société au prix d’une injustice. Gautier, lui, préférait écrire : « Sexe douteux, grâce certaine, / On dirait ce corps indécis / Fondu, dans l’eau de la fontaine, / Sous les baisers de Salmacis. / Chimère ardente, effort suprême / De l’art et de la volupté, / Monstre charmant, comme je t’aime / Avec ta multiple beauté. »

Illustrations : Nadar, Autoportrait - L’Hermaphrodite endormi, musée du Louvre. 

lien de l'article : http://savatier.blog.lemonde.fr/2009/11/20/l%E2%80%99ambiguite-sexuelle-au-xixe-siecle/


Enquête
Sylvaine, née Sylvain
 
Toute sa vie, Sylvaine Télesfort a dû faire avec cette étrange incertitude. Sa voix s'est installée à une tonalité troublante : son timbre se situe à mi-chemin entre le féminin et le masculin, à une hauteur qui perturbe souvent ses interlocuteurs. Enregistrée à sa naissance comme garçon, elle a toujours eu un tout petit sexe - "il fallait une loupe pour le voir", plaisante-t-elle - mais cet arrimage du côté du masculin n'a pas empêché une poussée mammaire à l'âge de 9 ans.

Pour la médecine, Sylvaine Télesfort présente une "altération de la formule chromosomique". Alors que les garçons affichent des caryotypes 46 XY et les filles des 46 XX, elle détient une formule infiniment plus rare, le 47 XYY. Son protocole de soin auprès de l'assurance-maladie précise qu'elle est atteinte d'"hermaphrodisme intersexué". Un constat confirmé par une expertise médicale réalisée en 2006 à la demande du tribunal de Paris : Mme Télesfort, précise-t-elle, "présente un état intersexuel".

A sa naissance, Sylvaine-Renée Télesfort s'appelait Sylvain-René. Troisième garçon de sa fratrie, il grandit à Beauvais, où son père tient un restaurant. Sylvain aime les jeux de filles et accorde déjà les verbes au féminin. "Un jour, alors que j'étais en CE2, je n'ai pas retrouvé ma table au retour des vacances de Noël, raconte-t-elle. Mon maître m'a dit qu'il fallait que j'aille à l'école d'en face, chez les filles. J'ai passé le second trimestre dans une classe où j'étais le seul garçon. Mon maître voulait m'humilier mais j'étais ravi : sans le savoir, j'étais enfin chez moi."

Sylvain grandit, se fait traiter de "quille" dans la cour de l'école, se déguise parfois en fille en cachette. "Lorsque j'avais 9 ans, une amie de mes parents a dit un jour devant moi que j'avais une petite poussée mammaire, raconte Sylvaine Télesfort. Ma mère m'a emmené chez un médecin, puis chez un généticien, qui m'ont fait sortir du cabinet pour lui parler tranquillement. Ils m'ont prescrit des traitements de testostérone à haute dose."

Pendant deux ans, des infirmières viennent tous les quinze jours faire des injections à Sylvain, qui prend peu à peu des allures masculines plus marquées. Il fait l'école buissonnière, intègre une pension religieuse, part pendant l'été à Toulon, chez son père, qui a ouvert un nouveau restaurant après son divorce. Au terme de deux années passées dans un centre de formation à la menuiserie, Sylvain rejoint son père sur la Côte d'Azur dans le cadre d'un contrat d'apprentissage.

Le jeune homme n'a aucune vie sexuelle, il est instable, inquiet, perturbé par ses interrogations identitaires. "Au vu de mon dossier, un médecin, à Toulon, m'a expliqué un jour que j'étais hermaphrodite. Je ne connaissais même pas ce mot ! Je n'en ai parlé à personne, j'avais trop honte, je restais dans mon coin." Sylvain Télesfort travaille dans des restaurants, devient manutentionnaire, commence une formation de comptable. "Mon côté féminin s'imposait peu à peu, j'ai eu une nouvelle poussée mammaire."

En 1997, Sylvain Télesfort, qui a passé un permis poids lourd pour travailler en solitaire, se décide à parler à sa mère. "J'avais apporté mes dossiers médicaux, raconte-t-elle. Je lui ai dit que j'étais hermaphrodite, que lorsque j'étais enfant, on avait tenté de pousser chez moi le côté masculin à coups d'injections de testostérone mais que j'étais sans doute plus proche du féminin. Elle était sous le choc, elle ne voulait pas y croire. Elle apprenait soudainement que son fils de 41 ans était en fait une fille."

Sa mère décède un an plus tard et Sylvain Télesfort finit par décider de se faire opérer pour devenir une femme à part entière. Dans une attestation datée de 2003, le médecin qui le suit depuis deux ans au Centre médical Europe, à Paris, souligne que "son cas sort de l'habitude" : alors que les transsexuels demandent à rejoindre l'autre sexe, Sylvain Télesfort se situe déjà au milieu du gué. "Il y a, à mon sens, lieu d'accéder à sa demande, non plus de réassignation mais plutôt de réparation", précise-t-il dans une lettre datée du 28 janvier 2003.

En février 2004, Sylvain Télesfort se rend dans un hôpital belge, à Gand, afin de subir une plastie mammaire bilatérale et une vaginoplastie. "Je suis restée douze heures au bloc opératoire, j'ai contracté un staphylocoque doré et j'ai été hospitalisée pendant vingt et un jours, raconte-t-elle. J'étais épuisée mais réparée. J'avais l'impression d'être enfin moi-même." Le retour à Beauvais est cependant douloureux : l'un de ses frères accepte mal de voir Sylvain devenir sa soeur tandis que certains de ses voisins le traitent de transsexuel, voire de pédophile.

En 2005, Sylvaine Télesfort décide de saisir la justice afin de mettre son état civil en conformité avec ce qu'elle appelle désormais sa "nature". L'expertise ordonnée en 2006 par le tribunal de Paris relève une "dysphorie du genre", mais reconnaît l'étrangeté de son itinéraire. "On ne doit pas affirmer l'existence d'un syndrome de transsexualisme au sens strict, souligne le rapport. En effet, ce diagnostic exclut la présence d'un trouble biologique. Or, le sujet présente une altération de la formule chromosomique."

La conclusion de l'expertise est sans ambiguïté. "Au vu de l'ensemble des données médicales (physiologique, biologique et psychique) recueillies, cette personne doit être considérée maintenant comme étant de sexe féminin", concluent l'endocrinologue, le gynécologue et le psychiatre commis par les magistrats. Dans un jugement rendu le 15 mai 2007, le tribunal de Paris accède à sa demande. M. Télesfort "devra, à compter du présent jugement, être dit de sexe féminin" et se prénommer Sylvaine-Renée, écrivent les juges.

Aujourd'hui, Sylvaine se sent enfin à sa place. "Cette décision, c'est la reconnaissance totale de ma personne, sourit-elle. Je suis arrivée au bout de mon calvaire." Elle vit aujourd'hui à Beauvais d'une pension d'invalidité et d'une allocation handicapé qui lui a été accordée en raison de ses problèmes médicaux - elle a quatre maladies orphelines. En 2008, elle a créé une Association-maison intersexualité et hermaphrodisme Europe (AMIHE), qui informe sur l'intersexualité et l'hermaphrodisme. "Mon combat, désormais, ce sont les autres", conclut-elle.

lien de l'article : www.lemonde.fr/societe/article/2009/12/01/hermaphrodisme-sylvaine-nee-sylvain_1274482_3224.html

 
sur l'INTERSEXUATION
> Qu'est-ce que l'intersexuation ? [sur le site de l'association Orfeo]
> Se découvrir intersexué-e [Vrais Visages] 
> Les «intersexes» donnent de la voix devant l’ONU
> [cinéma] Le film "XXY" de Lucia Puenzo sur l'ambiguïté sexuelle et l'hermaphrodisme en dvd
. Hermaphrodisme et transsexualité chez les animaux / Ces mâles qui deviennent femelles et inversement
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V
le documentaire suisse a l'air passionnant, c'est dommage qu'il n'y ait pas plus d'études sérieuses sur ce sujet présentées au grand public
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