1 Septembre 2008
«Faire un film sur les transsexuels et leurs problèmes en Iran n’est pas une chose aisée. C’est comme un défi qui fait de moi un lutteur beaucoup plus qu’un réalisateur (...) Je me dois,
tout en restant vigilant, de montrer les multidimensionnels aspects de ma société.» C’est un cinéaste iranien qui parle ainsi de son premier long métrage Khastegi, présenté à Venise, en
«film surprise»...
Mais la surprise n’est pas seulement d’ordre «festivalier...» Elle est aussi surprenante de par le contexte, l’Iran des mollahs et de l’incroyable ambivalence, à têtes multiples, qui
rendent désuètes, voire caduques, les idées que l’on se ferait de la société iranienne...
Bahman Motamedian vit et travaille en Iran, la quarantaine bien portée, il a appris le scénario, la photo et la réalisation à Téhéran sur les bancs de l’Institut du cinéma.
Il n’a connu rien d’autre que la République khomeynienne et ses déclinaisons soft et hard qui se sont succédé, «démocratiquement» en Iran, ces trois dernières décennies. Les guillemets
sont de rigueur, car si le vote est décisif en Iran, il ne survient qu’après un savant tri opéré par les mollahs, avant que l’ayatollah n’adoube les présidentiables...
Tout cela pour dire que malgré ce jeu «fermé d’avance», les Iraniens puisent aussi, ailleurs, leur vivacité intellectuelle et leur grande écoute des uns des autres, loin des
gesticulations des Gardiens de la Révolution et des effets de manche de la vieille garde religieuse qui sait que le temps joue contre elle.
C’est ce qui fait l’incroyable vivacité du cinéma iranien qui trouve d’abord à l’intérieur même du pays, son premier (et large) public. Il n’y a aucun sujet de société qui n’ait été abordé par
les cinéastes sans que cela ne soit considéré comme un tabou, donc inévitablement hors de portée de caméra. Tout y passe: la mort, les mollahs, les femmes détenues, les enfants abandonnés, le
racisme (à l’égard des «Noirs», les Afghans)...
Mais malgré cela, l’étonnement est bien présent lorsque des sujets comme celui des transsexuels est abordé, sans aucune hypocrisie mais avec la retenue qu’un long travail de recherches protège
de la tentation sensationnaliste...
Pour faire reculer les frontières entre le documentaire et la fiction, Motamedian s’est fait épauler par un chercheur, le docteur Behrang Sedighi. «Khastegi n’est donc pas un film sur des
gens "anormaux" avec, tagué, sur le front, "transsexuel". C’est un film qui a trait à "notre identité" dans son entendement le plus compréhensif du terme»...Le cinéaste insiste sur le fait
que, dans son travail, le souci était de faire la part des choses entre «sexe et sexualité (ou autres vocables), histoire d’être en phase avec notre identité». La tolérance dont fait
montre, dans sa grande majorité, la rue iranienne, à l’égard des «mal dans leur peau» et qui ne se manifeste pas forcément par des déclarations de bonne intention, renseigne sur le
degré d’empathie existant. Et c’est déjà un des premiers résultats auxquels parvient ce film, évitant au spectateur étranger de se poser des questions inutiles, voire hors sujet.
On sent que l’héritage est millénaire et est loin d’être une profession de foi, comme ailleurs dans le monde arabe. Il a été revisité et enrichi. En persan, les mots de Hafiz, la pensée d’Al
Farabi ont l’air de s’acclimater à l’ère de la révolution génétique, pour essayer de mieux savoir ce que l’on est et ce que l’on pourrait devenir. Sans craindre pour autant de perdre
l’essentiel, son âme....
Si l’on voulait extrapoler et le cinéma permet, lui aussi, ces grands écarts ou plutôt ces grands sauts, 35 Rhums de la Française Claire Denis, participe à sa façon de cette théorie.
Son film, qui ne concourt pas au «Lion d’Or», pour cause de présence dans le jury, de sa réalisatrice, est d’une audacieuse portée.
Pour la première fois, dans le cinéma français, des gens de couleur sont au centre d’un argument qui, d’habitude, ne «concernait» (selon les cinéastes hexagonaux) que des Blancs...La
couleur n’était visible qu’en périphérie ou lorsqu’il fallait y mettre une touche exotique, pour se créer des sensations fortes et même se faire peur...
Claire Denis propose une autre vision des Noirs. Des êtres ayant leur profondeur propre, avec même des questionnements existentialistes probants. Un père noir, conducteur de métro (excellent
Alex Dexcas), est capable d’élever seul sa fille étudiante en anthropologie, de lui dire son amour et sa tendresse et se sentir écartelé entre l’envie (à peine visible) de refaire sa vie avec
une autre Antillaise, chauffeur de taxi, et sa volonté d’emmener son enfant aussi loin qu’il le pourrait, le mariage par exemple...
Le film peut, lui aussi, déranger, à sa sortie en France, car il montre que l’identité est plurielle et ses frontières sont mouvantes, comme l’évolution de l’homme, en somme...A sa manière,
Claire, aussi, dit combien le regard vers l’autre peut être enrichissant et novateur pour faire avancer une société qui ne peut faire l’économie d’aucune de ses composantes, fût-t’elle si
différente. C’est là que le cinéma renoue si fortement avec sa vocation primaire: la projection...
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