16 Mars 2008
Discriminés et contraints à vivre retirés de la société, les hirjas (nom donné aux transsexuels en Inde) ont toujours dû se battre pour l’obtention de droits élémentaires. Pourtant, il y a deux semaines, une avancée considérable a vue le jour dans l’état du Tamil Nadu (région du Sud de l’Inde) : une troisième colonnes a été ajoutée auprès des colonnes homme/femme sur les demandes de carte de rationnement.
Les hirjas peuvent désormais écrire un « T » (pour transsexuel) à la place d’un M pour « male » ou d’un F pour « female » sur leurs cartes de rationnement. « Ce changement fait du Tamil Nadu le premier état indien à reconnaître officiellement ses citoyens hirjas » a déclaré Jeeva, président de l’association pour le droit des transsexuels.
Cette avancée a été saluée chaleureusement. « Le gouvernement reconnaît désormais l’existence d’un troisième genre. Cela nous donne davantage de dignité. » indique Noor, hirja et séropositif, à la tête du réseau des séropositifs d’Inde du Sud basé à Chennai (ancienne Madras). Une simple lettre de l’alphabet sur une carte de rationnement peut sembler plus technique que progressiste mais pour les 100 000 hijras du Tamil Nadu (appelés dans la région aravanis), c’est une victoire importante. Ce n’est qu’à la suite de luttes acharnées que les aravanis ont obtenu l’accès aux cartes de rationnement, aux bulletins de vote et aux passeports. Souvent, les fonctionnaires ignorants laissaient la case vide ou choisissaient d’inscrire un « M ». C’est donc une avancée positive qui va encourager les aravanis à se déclarer plus librement transsexuels.
Historiquement, le Tamil Nadu a toujours eu une communauté aravani très visible dont les militants réussissent à se faire entendre ces derniers temps. Tous les ans, un festival aravani se déroule dans la ville de Koovagam dont l’un des évènements est un concours de beauté « Miss Koovagam ». Dernièrement, le festival a accueilli la toute première star transsexuelle du petit écran, Rose.
Mais être hirja ne donne pas droit à une citoyenneté entière. Rose explique « cela fait seulement 3 ou 4 ans que les transsexuels ont commencé à demander des cartes d’identité. Même maintenant lorsque nous demandons une carte d’identité, l’administration n’a pas de système approprié pour examiner nos demandes. Prenons mon exemple. Je voulais transformer mon nom masculin en un nom féminin mais j’ai dû garder la lettre « M » sur mon passeport. Si vous voulez modifier votre sexe sur votre passeport, il vous faut la preuve d’une opération chirurgicale que je n’ai pas. Pendant 9 mois ma demande fut gelée car personne ne savait quoi faire »
« Ce fut un premier succès pour notre communauté quand des passeports avec un E pour « eunuque » ont été lancés il a deux ou trois ans » explique Arvind Narrain du Forum Lois Alternatives à Bangalore. Mais cette mesure soulève un problème épineux : « Eunuque » est le nom donné aux hommes castrés, ce qu’une grande majorité d’arvanis ne sont pas. D’autant plus que le mot est souvent utilisé de façon dérogatoire ce qui fait de la nouvelle catégorie officielle un succès indirect.
Laxmi Narayan Tripathi, militant dans l’ONG Astitya basée à Bombay témoigne : « Ils ont d’abord écrit « Male » sur mon passeport, puis j’ai discuté et ils ont mis un E pour « eunuque » mais ce n’est pas correct car je ne suis pas castré. » Après des démarches incessantes, Laxmi a finalement imposé son identité. « Ils ont finalement inscrit TG (troisième genre) sur mon passeport. Dans TG, tout le monde rentre ! Les hommes, les femmes, les homosexuels, les bisexuels… » explique Laxmi avec enthousiasme.
La reconnaissance d’un troisième genre est un problème lié aux droits de l’homme. « La carte de rationnement est une preuve que l’on est citoyen » argumente Reginald Watts de l’ONG Sangama de Bangalore. « C’est un des documents qui nous sont demandés pour ouvrir un compte en banque, pour un passeport ou un permis de conduire… » Alors que les changements récents au Tamil Nadu sont le résultat d’un militantisme acharné, de nombreux autres états sont loin derrière. « Au niveau national le mouvement a encore du chemin à faire. Mais c’est déjà un grand pas. Les autres Etats doivent s’inspirer de cette victoire » explique le militant gay Rahul Singh.
Le Kerala, par exemple, est un Etat répressif où les transsexuels ne sont pas visibles. « Ils doivent se cacher et vivent déguisés en hommes » déplore Rose. « Les communautés sont importantes dans l’Etat du Maharashtra, à Delhi et dans quelques autres états mais les autres ont encore du chemin à faire. » Beaucoup de droits sont encore à obtenir pour que les hirjans se sentent citoyens égaux. « Les transsexuels ont toujours été partie intégrante de notre culture. Dans n’importe quel livre religieux, nous sommes mentionnés. Mais aujourd’hui nous sommes traités comme des moins que rien. Le gouvernement se préoccupe des populations tribales mais qui s’occupe de nous ? » demande Laxmi avec passion. L’abrogation de l’article 377, souvent prétexte à l’harcèlement des hirjas doit être mis à l’ordre du jour ainsi que le droit à l’éducation. « Le gouvernement doit respecter l’article 14 qui parle du droit à l’éducation sans considération de sexe. L’éducation permet de s’armer contre la discrimination » explique Laxmi.
De nouveau, le Tamil Nadu - son gouvernement en particulier - a été particulièrement progressiste. En 2006, son département d’aide social a voté un décret stipulant que « l’admission dans les écoles et les collèges ne doit pas être refusée sur des critères d’identité sexuelle » Le département a menacé de « sanctions appropriées » si la recommandation n’était pas respectée. « On a demandé aux fonctionnaires de faire campagnes une fois tous les trois mois durant plusieurs jours pour recueillir les doléances des aravanis. » indique Asha Bharathi de l’association Thamizhnaadu Aravanigal. Le département de l’aide sociale a annoncé récemment son intention de former un comité afin de mettre en place un plan pour l’éducation et la santé des aravanis. Une grande première.
Il ne reste aux autres régions de l’Inde qu’à rattraper le Tamil Nadu. La constitution elle-même ne garantit de droits que pour les hommes et les femmes et ne mentionne pas les hijras. Laxmi exhorte à la mobilisation : « Après le départ forcé des anglais, tout le monde a obtenu l’indépendance sauf notre communauté. Il est indispensable que toutes les minorités sexuelles se rassemblent et se battent pour leurs droits »
Morgan Harrington, ajouts de PC Vinoj Kumar
Traduction Naïke Desquesnes
Pour ressembler à la déesse-mère, ces hommes ont choisi de vivre en femmes et font partie intégrante de l'hindouisme. On estime leur nombre entre 200 000 et 2 millions. Les hijras viennent de toutes les castes, on compte même des personnes à l'origine musulmanes dans leurs rangs. Elles exigent que les quelques rares enfants nés hermaphrodites leur soient remis, elles les élèveront elles-mêmes. Les hijras forment une communauté vénérant un avatar de la Shakti, Bahuchara Mata. On aurait tort de croire les pratiques homosexuelles admises en Inde, elles sont toujours réprimées par la loi, mais les hijras forment un genre à part.
Musiciennes et chanteuses, elles participent à la bénédiction des enfants mâles ainsi que celle des jeunes mariés. Elles sont censées pouvoir guérir de l'infertilité et se font rémunérer leurs services parfois à des prix très élevés. Lorsqu'un fils naît, les hijras organisent une cérémonie au cours de laquelle elles intègrent les fautes passées du nouveau-né. Après des danses, rythmées par des tambourins, elles bercent l'enfant avec des gestes tout à fait maternels afin de bénir sa nouvelle vie.
Les communautés d'eunuques s'organisent autour d'un gourou. D'abord Kothis (travestis), elles subissent une émasculation complète (en hiver, pour éviter les infections) au cours d'une cérémonie bénie par leurs soeurs. L'ablation des testicules et du pénis est interprétée comme une seconde naissance. Comme dans les pratiques yogiques, la maîtrise du désir converti la capacité procréatrice en énergie intellectuelle, à l'image de Shiva. C'est pourquoi les "nirva moorath" (eunuques) tiennent une position élevée dans les communautés d'hijras. 70% d'entre elles sont "akwa moorath", elles ont gardé leur attributs masculins mais ingèrent des hormones et se font poser des implants mammaires pour devenir femmes.
Une fois par an, par une nuit de pleine lune, elles se réunissent au village de Koovagam, pour jouer un des épisodes du Mahabharata. Fatigués des combats sans fin entre les Kauravas et les Pandavas, les dieux décidèrent que serait déclaré vainqueur le clan qui leur sacrifierait un jeune homme. Le prince Aravan, du clan des Pandavas, se désigna mais exigea de connaître les joies du mariage avant son sacrifice. Aucun père ne voulu donner sa fille, promise à un veuvage et condamnée par la suite à vivre dans la misère. Krishna s'incarna alors, pour une nuit, en Mohini l'enchanteresse et s'unit à Aravan. C'est pourquoi chaque année, les hijras commémorent l'union de Dieu et des hommes.
(source : http://pagesperso-orange.fr/indianred/hijras.htm)