Revues de presse et de blogs par une journaliste transgenre qui traite de la TRANSIDENTITE (appelée improprement "transsexualité").Le blog "Différences" est devenu aujourd'hui une REFERENCE FRANCOPHONE sur la TRANSIDENTITE
24 Janvier 2008
Florence Thomassin dans 57000 km entre nous de Delphine Kreuser
Cet Objet Filmique Non Identifié [OFNI], boudé par les exploitants (2 salles seulement à Paris lors de sa sortie... Il
ferait "trop peur" !), mais dont certaines critiques reconnaissent le style "fururiste", mériterait votre curiosité.
De sa caméra baladeuse, Delphine Kreuser, nous montre l'intimité d'une famille déglinguée dans laquelle l'Internet a pris le pas sur le réel. Humour grinçant dans ce "home-movie" où la
jeune réalisatrice s'en donne à "corps-joie" !
On attend son prochain film...
caphi
L'histoire
Un adolescent gravement malade et hospitalisé, couvé par une mère angoissée, une adolescente solitaire dont le père, transsexuelle (Stéphanie Michelini, "Wild Side" de Sébastien
Lifshitz"), vit avec un homme, et élevée par un couple exhibitionniste... Les membres de cette famille éclatée et dysfonctionnelle ont tous un penchant pour internet.
"57000 kilomètres entre nous" de Delphine Kreuser (France, 1 H 22) avec Florence Thomassin, Pascal Bongard et Mathieu Amalric.
Les films, les salles > www.allocine.fr
> lire mes critiques cinéma sur mon blog les Paris de caphi > http://paris-caphi.blogspot.com
Le cinéma change avec les ordinateurs, avec Internet, avec le monde entier (c’est-à-dire les pays riches) en train de se filmer et de se raconter en deux clics de logiciel amateur. On peut se jeter des cendres sur la tête en déplorant la fin d’un genre et d’une certaine représentation de la place de l’homme dans le monde. Vitupérer l’exhibitionnisme et le déni de l’altérité. Ou bien l’on peut, comme Delphine Kreuter, 34 ans, ci-devant vidéaste et photographe, penser qu’il «vaut mieux laisser avancer» l’image et qu’à chaque mutation de l’idée de soi correspond dans l’histoire une nouvelle esthétique qui ne signe en rien la mort de l’art : juste celle des formes périmées.
Pathologie. Le cinéma substitue à notre regard un monde qui s’accorde à nos désirs, pour reprendre la célébrissime phrase de Bazin ouvrant le Mépris. 57 000 km entre nous est (toujours) l’histoire de ce monde. Nat, 14 ans, a donc une mère et un beau-père timbrés qui ne vivent qu’à travers leur blog où ils postent photos, récits et séquences vidéo de la famille idéale qu’ils voudraient être. Les jours de grande forme, ils font même des directs façon Loft Story. Non que les nouvelles technologies les rendent fous ; simplement, la pathologie propre à toute famille trouve là un porte-voix énorme, monstrueux. Nat, quant à elle, utilise Internet de façon moins univoque. Elle a un petit copain virtuel, Adrien, rencontré sur un jeu en ligne, et elle teste par ailleurs les limites de sa séduction en entretenant une relation par webcam avec un fétichiste des couches (Mathieu Amalric, secondé par Chloé Mons et encore plus cul que dans l’Histoire de Richard O.).
Ça aurait pu tourner à l’affreux Wenders, à un pensum sur l’image, mais c’est en fait un mélo durassien : le Navire Night, en l’occurrence, si l’on remplace le téléphone par Internet. Une fille et un garçon se désirent sans se connaître, mieux que s’ils se connaissaient, dans la nuit et à 57 000 km de distance - ou à un million d’années-lumière, c’est pareil. Il y a évidemment la mort au bout, en vertu de ladite Duras : «La personne qui se dévoile dans le gouffre ne se réclame d’aucune identité. Elle ne se réclame que de ça, d’être pareille. Pareille à celui qui lui répondra. A tous. […] Dès que nous appelons nous devenons, nous sommes déjà pareils. A qui ? A quoi ? A ce dont nous ne savons rien.»
Delphine Kreuter réussit sur le fil (ou le câble ethernet) le portrait d’une adolescente appelante, désirante, avec cette si «poétique façon de se construire» que permet le virtuel. C’est la première fois d’ailleurs qu’Internet est traité sur toile autrement qu’en grand méchant déréalisant, ou, au contraire, en baguette magique positiviste. Nat est d’une génération anti-identitaire, ludique et «sans fard», indique Kreuter. Son beau-père lui demande si elle va bien : «Peut-être, peut-être pas.» Les adolescents se montrent leurs visages à travers l’écran : «C’est toi ? - Peut-être.» Pareils à ce dont ils ne savent rien, pareils à l’inconnu, au possible.
Cauchemar. Comme c’est un film sur le désir, sur ce qui est «entre nous», c’est aussi forcément un film sur les mères, sur la terreur qu’ont les filles de leur ressembler. Celle de Nat est plombée et le tient de sa propre mère, qu’on nous présente dès le début en clown lifté et pétaradant, auto-icône au milieu d’un lotissement désolé. Celle d’Adrien est une grande bourgeoise tout aussi solitaire, incapable d’affronter la maladie de son fils (un cancer incurable). Elles sont d’une certaine façon pires que les hommes, qui, pour être inutiles, ne sont pas forcément nuisibles. Seul le père de Nat est finalement sauvable, pour les raisons (sexuelles) qu’on verra dans le film et qu’on ne peut dévoiler sous peine de représailles.
Quant à la construction de l’héroïne, elle se réalise très logiquement par l’image. Alors que le film avait commencé DV au poing, tout en regard subjectif moche (abus de grand-angle), digérant le monde en une espèce de cauchemar à destination des blogs et filant la nausée au spectateur, il évoluera, avec l’amour de Nat pour Adrien, vers une belle conscience du négatif et de l’autre, dans une séquence à la Dziga Vertov : la jeune fille se fixe une caméra sur le front et montre à son amoureux malade ce que voit la machine, ce qu’est un monde aperçu par le ciné-œil, enfin dégagé des mensonges adultes et de la dramatisation bourgeoise.