17 Octobre 2009
Selon les sources de l’Association des transsexuels (le)s du Québec (ATQ), la transsexualité pourrait concerner de 1 à 3% de la population. L’estimation de cette même prévalence empruntée au gouvernement néerlandais (rapport Bakker, 1993) et présentée par l’équipe de Walter Meyer III (2001) est toutefois plus faible. Les chiffres sont de l’ordre d’un homme sur 11 900 et une femme sur 30 400, mais le même document soutient que d’autres observations permettent de croire à une prévalence plus élevée. Il est intéressant de noter que d’après l’Hôpital général de Montréal, le rapport homme/femme serait d’un pour un.
Le document On the Calculation of the Prevalence of Transsexualism (Olyslager et Conway, 2007) fournit de l’information crédible sur le sujet, vu la rigueur de sa démarche méthodologique. Il en ressort une prévalence d’au moins une personne sur 500. Notez que jusque-là, seules les personnes ayant bénéficié d’une chirurgie de réassignation sexuelle (vaginoplastie et phalloplastie) étaient prises en compte dans ce calcul, créant ainsi une fausse impression de rareté pour une réalité, en fait, beaucoup plus commune. En effet, de nombreuses personnes transsexuelles vivent selon le genre auquel elles s’identifient sans intervention ou thérapie.
Il existe de nombreux termes dans le vocabulaire médical ou dans la culture populaire pour désigner la réalité d’une personne dont l’identité de genre ne correspond pas à son sexe anatomique, car elle existe depuis toujours. Les termes les plus fréquemment employés sont dysphorie de genre, syndrome de Benjamin3, transsexualité, transsexualisme et transgénérisme. De même, comme cette réalité ne concerne pas la sexualité, mais bien l’identité, le mot transidentité circule maintenant dans certaines communautés en Europe.
Aujourd’hui encore, d’un point de vue médical, c’est le sexe anatomique qui sert de référence pour présumer l’identité de genre d’un enfant. Ainsi, un mâle devrait avoir, selon les normes établies dans un système binaire hétéro normatif tel que le nôtre, une identité sexuelle masculine et une femelle, une identité féminine. Lorsque tel n’est pas le cas, on appose alors, sur la personne concernée, l’étiquette transsexuelle ou transgenre. Cette perspective, étant encore très largement répandue, on comprend pourquoi trop souvent la personne dont l’identité sexuelle ne correspond pas au sexe anatomique est injustement considérée comme ayant un problème psychologique puisque c’est le cerveau qui est le siège de l’identité de genre. Il serait probablement plus approprié de considérer le sexe d’une personne à partir de son identité de genre et non l’inverse, mais cette distinction serait impossible à réaliser à la naissance. Il conviendrait peut-être alors de faciliter les démarches ultérieures pour obtenir un changement de la mention du sexe et de revoir les conditions actuelles d’admissibilité pour un tel changement.
Par ailleurs, il y a des personnes transsexuelles ou transgenres dans toutes les classes socioéconomiques, nationalités, cultures, etc., et elles ont les mêmes habiletés que les autres. À cet effet, le site de Lynn Conway est traduit en 18 langues et contient une section présentant de nombreux modèles de transitions réussies d’hommes et de femmes. Acteurs, mannequins, chanteurs, chirurgiens, programmeurs, chefs d’entreprise, biologistes, cardiologues, professeurs d’université, ingénieurs, auteurs, pilotes d’avion, musiciens, architectes, avocats, politiciens et autres, sont autant d’exemples variés de carrières que pratiquent ces individus.
Il semble clair que le transsexualisme de ces personnes n’affecte en rien leurs aptitudes et habiletés physiques, sociales et intellectuelles. Ainsi, il ne devrait pas être considéré comme une maladie, c’est-à-dire une altération de la santé, de l’équilibre. Vue sous cet angle, la pertinence de la classification du transsexualisme comme maladie par l’Organisation mondiale de la Santé, en 1996 semble discutable.
Malgré l’avancement des connaissances scientifiques, à ce jour, les mécanismes complexes à l’origine de l’identité de genre sont encore méconnus. L’étude des grossesses a tout de même permis d’apprendre qu’à la naissance, la région du cerveau que l’on nomme hypothalamus serait déjà «câblée en dure» ou formée définitivement. On croyait autrefois que vraisemblablement, cette région, siège de l’identité, était masculinisée ou féminisée durant la phase d’imprégnation par les hormones au stade fœtal. Selon cette théorie, l’identité sexuelle serait donc innée et non acquise. Le fait que les femmes SICA (syndrome d’insensibilité complète aux androgènes) semblent toujours avoir une identité féminine malgré qu’elles aient des chromosomes XY semble, à première vue, confirmer la thèse hormonale du développement de l’identité. D’après leur code génétique, ces femmes devraient être des hommes, mais leur résistance aux androgènes résultant d’une mutation génétique en a fait des femmes à tous les égards (sauf l’absence des organes reproducteurs internes tels que l’utérus et les ovaires). Il semblait alors permis d’envisager que la transsexualité soit peut-être le résultat d’un processus analogue.
Allant plus loin cependant des scientifiques de l’UCLA (University of California at Los Angeles) sous la supervision de Phoebe Dewing (2003), ont identifié, à l’aide de souris de laboratoire, 54 gènes qui pourraient expliquer les différences entre le cerveau des femelles et celui des mâles chez les mammifères. La nouvelle fût d’abord publiée dans le journal Moleculor Brain Research, puis reprise en octobre de la même année dans de nombreux journaux. À la grande surprise des scientifiques, 18 de ces gènes se trouvaient en plus grande quantité dons le cerveau des mâles, alors que les 36 autres gènes étaient plus nombreux dons le cerveau des femelles, et ce, longtemps avant la phase d’imprégnation par les hormones. À la lumière de ces découvertes, il semble de plus en plus probable que, dans un avenir proche, le mystère de l’identité sexuelle soit enfin compris et expliqué par la science plutôt que par des théories approximatives et des suppositions erronées.
Par ailleurs, aucune étude ou expérience n’a permis jusqu’ici de valider la théorie vieillissante de l’identité acquise selon laquelle il suffit d’élever un garçon à la naissance en tant que fille pour qu’il développe une identité féminine et vice versa. A cet effet, durant les années 60-70, le psychologue John Money, alors affilié à l’Hôpital John Hopkins de Baltimore, au Maryland, a mené une expérience sur le jeune David Reimer4. Les organes génitaux de ce dernier avaient été détruits par accident à 18 mois, lors d’une banale circoncision et l’on a, par la suite, tenté de le convertir en fille en l’élevant comme telle. Cette étude était considérée par plusieurs comme une preuve que cette théorie était valide. Finalement, auront les années 90, il fût révélé par Dr Milton Diamond de l’Université d’Hawaii, notamment connu pour ses travaux sur le SICA, que l’expérience en question, avait au contraire été un tragique échec et que les véritables résultats avaient été sciemment cachés par Money lui-même. Il existe de nombreux cas semblables chez les enfants intersexuels5 opérés en hâte à la naissance dons le but d’en faire des filles (la vaginoplastie étant plus facile à réaliser que la phalloplastie).
3 Harry Benjamin (1885-1986) - Endocrinologue allemand émigré aux États-Unis, est considéré comme étant le premier à décrire avec justesse la condition transsexuelle. Il fût aussi le premier, en 1949, à prescrire la thérapie hormonale.
4 Son histoire est relatée sur de nombreux sites web et dans le livre de John Colapinto (2000).
5 Ambiguïté sexuelle à la naissance, c’est à
dire que l’observation visuelle des organes génitaux ne permet pas de déterminer, hors de tout doute, le sexe du nourrisson.