29 Juillet 2009
Dérapages médiatiques et déni des autorités : l’agression de deux trans, à Annecy, en avril
2009, met en lumière le manque de reconnaissance et de juridiction en la matière. Lire "La confusion des genres"
paru sur 360° (Suisse), un
Témoignage suivi d'une revue de presse.
Tandis qu'Hélène Hazera décrypte pour Yagg "L’histoire bidon de la trans’ assassinée par son mari à Volgograd (Russie)" qui, "après avoir fait le
tour d’internet, s’est retrouvé dans des journaux sérieux", analyse ce bidonnage comme une "justification de la « panique trans’ » : quand le sujet découvre qu’il a été abusé, il
tue la trans’, une sorte de légitime défense devant la fourberie des déviants; fantasme criminogène de la trans-qui-piège-les-hétéros, moteur des émissions de télé-réalité." (à lire en bas de page)
La confusion des genres - Témoignage
par Jonas Pulver, 360°
magazine (Suisse), 4 mai 2009
L’affaire, c’est vrai, avait tout pour exciter l’intérêt des médias : deux transsexuelles donnant du fil à retordre à une dizaine de jeunes, début avril à Annecy. Pour résumer les faits, il est 2h30 du matin lorsque Constance (photo) et sa compagne sortent du Happy People, seul club gay de la cité haute-savoyarde, après y avoir passé la soirée. Elles sont alors prises à partie par un groupe de neuf hommes : on leur crache dessus depuis une voiture, on les insulte, les menace avec une arme de poing. Une bouteille en verre est lancée dans leur direction. Les deux trans ne vont pourtant pas battre en retraite, toutes deux pratiquant les sports de combat à haut niveau. Elles évitent les assauts et contiennent leurs agresseurs jusqu’à l’arrivée de la police, alertée par le voisinage. Cinq des neufs individus sont interpellés, les autres ayant réussi à prendre la fuite.
Mauvaise foi
Manchette et une d’un quotidien gratuit romand, info rapidement relayée par le site internet de Têtu, la presse s’empare de l’affaire. Mais au-delà du courage des victimes, les dérapages ne
vont pas tarder. Après avoir titré le 7 avril « Deux transsexuelles agressées en pleine rue », le Dauphiné Libéré affiche le lendemain « Des travestis et non pas des transsexuelles ». Cité
dans l’article, François Kaiser, substitut du procureur au tribunal de grande instance d’Annecy, estime qu’on « ne peut donc pas dire que cette échauffourée ait un caractère sexiste ou
discriminatoire ». Toujours selon lui, « des insultes ont été proférées de part et d’autre, et l’ensemble des personnes étaient sous l’emprise de l’alcool ». Une dernière allégation que
Constance réfute : « De toute façon, aucun alcootest n’a été pratiqué. »
Devant tant de mauvaise foi et une telle volonté de minimiser les faits, difficile de ne pas deviner des relents transphobes chez François Kaiser. C’est que sa marge de manœuvre est grande, au vu du flou juridique qui entoure les questions transgenres : sur le site internet de Têtu, le substitut déclare encore qu’il « s’agit bien de personnes de sexe masculin, non opérées et qui ne souhaitent pas l’être, semble-t-il ». « Non, je ne veux pas me faire opérer, mais oui, je suis trans, réagit Constance. Je prends des hormones, j’ai des seins, ma voix, mon corps, mon comportement se sont féminisés ; un travesti, quand il va faire ses courses, peut enlever sa perruque et se démaquiller. Moi je ne peux pas faire ça. » A noter que la Dauphiné Libéré corrigera le tir le 9 avril, en ouvrant le débat dans ses colonne sur « la signification des termes travesti et transsexuel ».
Transition permanente
On touche la question de fond. Être trans, est-ce forcément se conformer à une démarche – formatée au niveau médical – aboutissant au passage définitif vers le sexe opposé ? « Je me sens
hybride, répond Constance, et je refuse cette volonté de classer les gens. Je pense que beaucoup de trans suivent le protocole et vont jusqu’au bout pour des questions de pression sociale
et légale. » Car, comme le rappelle Margaret Ansah, responsable du service juridique de 360°, il n’existe pas de statut légal pour les transsexuel(les) en France comme en Suisse. « Aux yeux
de la loi, on ne peut être que femme ou homme. Seule l’Angleterre a adopté une législation particulière quant au statut des personnes trans. » Et qu’en est-il du fait que Constance soit en
relation avec une partenaire également transgenre ? « Moi je suis attiré par la féminité, répond l’intéressée, mais d’autres trans sont attirés par les garçons, les filles, les couples… ça
n’a rien à voir ! Mais si François Kaiser ne veut pas nous reconnaître comme transsexuelles, il sera au moins obligé de nous considérer comme homo. » Ce qui, rappelons-le, est une
circonstance aggravante dans le cadre d’une agression aux yeux de la justice française. Les procédures juridiques sont en cours.
La démarche de Constance marque-t-elle l’avènement d’un troisième sexe ? « C’est un comportement qui existe depuis longtemps, mais c’est vrai qu’il a tendance
à devenir plus fréquent et revendiqué », note Sandra Mansi, responsable du groupe trans de 360°. Reste qu’une identité stable à la frontière entre les deux genres est d’autant plus
difficile à faire reconnaître par la société. « C’est vrai, j’ai de la peine à supporter que François Kaiser m’appelle Monsieur au téléphone, conclut Constance. Mais l’agression a été
relayée par de nombreuses associations en France, espérons que cela pourra faire bouger les choses.»
lien de l'article : http://www.360.ch/presse/2009/05/transphobie_la_confusion_des_genres_.php - Photo : Lucien Fortunati
revue de presse
Deux trans maîtrisent leurs agresseurs à Annecy
Expertes en self-défense, deux transgenres M to F ont réussi à éviter l’agression de neuf personnes et à les contenir. Mais la justice, et les médias ont été déroutés par le genre des deux victimes…
Par Renan Benyamina, Têtu, vendredi 10 avril 2009 - Photo: DR.
Deux trans «male to female» rejoignaient leur véhicule après avoir passé la soirée au Happy People, le principal club gay d’Annecy
(Haute-Savoie), dans la nuit du samedi 4 avril au dimanche 5. Elles ont alors été prises à partie par un groupe de neuf hommes d’une vingtaine d’années. Selon plusieurs témoignages, ils les ont
invectivées, leur ont craché dessus. L’un d’entre eux a même jeté une bouteille en verre dans leur direction.
Mais les agresseurs ne pensaient sûrement pas tomber sur deux expertes en self-défense: celles-ci parviennent à éviter les assauts et à les contenir.
Intervenue rapidement, la police place les neuf personnes en garde-à-vue. Les victimes ont déposé plainte, le substitut du procureur, François Kaiser, a engagé des poursuites contre trois
individus pour violences sans incapacité (n’ayant pas occasionné d’ITT) commises en raison de l'orientation sexuelle des plaignants.
Confusion dans les médias locaux
«Plaignants», et non «plaignantes», car comme l’affirme le substitut, «il s'agit bien de personnes de sexe masculin, non opérées et qui ne souhaitent pas l'être, semble-t-il». Dans les jours
qui ont suivi l’agression, la confusion a en effet gagné les médias locaux et notamment Le Dauphiné libéré, qui a d’abord parlé de transsexuelles puis de travestis
avant d’expliquer la situation en reprenant le témoignage d’une des victimes: «Je ne souhaite pas aller jusqu'à l'opération mais je ne suis pas pour autant un travesti. Un
travesti redevient un homme à part entière une fois son déguisement enlevé. En ce qui me concerne, je prends un traitement hormonal à base d'œstrogènes; ma physiologie, mon apparence
physique et ma façon de réagir ont complètement changé.»
Voilà qui met la justice dans l’embarras et qui rappelle que l’identité de genre n’est pas considérée comme un motif de discrimination et ne peut
constituer un motif aggravant lorsqu’a lieu une agression.
lien de l'article : http://www.tetu.com/actualites/france/deux-trans-maitrisent-leurs-agresseurs-a-annecy-14409
INTERVIEW. Début avril, Constance et son amie étaient prises à partie dans la rue. Mais ce soir-là, ce sont elles qui ont maîtrisé leurs agresseurs. Problème: la justice prend difficilement le relais. En ce jour de lutte mondiale contre l'homophobie et la transphobie, Constance témoigne.
source : Têtu, dimanche 17 mai 2009
Rappel des
faits : le 4 avril dernier, Constance (ci-contre) et sa compagne, toutes deux trans, rejoignent leur voiture après une soirée au club gay d'Annecy. Malheureusement, elles croisent le chemin
d'une petite dizaine d'hommes qui les prennent à partie: insultes, crachats, intimidation. Heureusement, elles sont toutes les deux expertes en techniques de combat, et maîtrisent rapidement
leurs agresseurs jusqu'à l'arrivée de la police. Le récit de cette mésaventure sur TÊTU vous avait fait réagir, entre indignation face la lâcheté des agresseurs, et enthousiasme devant le courage des agressées. Mais
aujourd'hui, malgré la plainte déposée, l'affaire est toujours au point mort. Et Constance compte bien ne pas en rester là.
TETU: Où en est la procédure, plus d'un mois après les faits?
Constance: On nous avait dit qu'il faudrait justement un mois pour connaître les suites données à notre plainte. Finalement, on nous a dit d'attendre encore trois mois.
Pendant ce temps, nos agresseurs sont bien sûr en liberté. A croire qu'il vaut mieux être franchement tabassée voire tuée pour que la justice décide de lancer rapidement une enquête.
Avez-vous l'impression d'être lâchée par la justice ?
Le substitut du procureur au tribunal de grande instance d'Annecy, François Kaiser, a d'ores et déjà rejeté la plainte pour discrimination liée à notre genre, sous prétexte que nous ne sommes
pas opérées, et donc que nous sommes toujours des hommes. Autant la police s'est comportée admirablement avec nous, en nous écoutant, en prenant longuement notre déposition, autant le
substitut du procureur semble vouloir minimiser les faits depuis le début. Il a tout de suite préféré parler d'alcoolémie et d'insultes mutuelles plutôt que de prendre en
considération ce qui nous était arrivé. Pour moi, c'est finalement de la promotion pour la transphobie.
Votre affaire révèle finalement un certain nombre de lacunes dans la justice, en matière de transphobie...
Oui. Pour la justice, mais aussi pour d'autres trans, on n'est transsexuel qu'à partir du moment où l'on est opéré. Or je n'ai pas envie de cette opération qui coûte très cher et que je
ressens comme une mutilation. Mais je ne suis pas pour autant un travesti, comme on a pu le lire dans certains journaux. Je prends un traitement hormonal, mon corps est transformé. La justice
devrait prendre aussi cela en compte, par un examen sanguin, pour considérer qu'elle est bien devant un trans. Ce n'est pas qu'une question d'opération.
Constance (à droite) et sa compagne.
Que comptez-vous faire si la plainte n'aboutit pas à des poursuites?
Puisque le substitut du procureur nous rappelle que nous sommes des hommes, ma copine et moi, alors nous allons parler d'homophobie au lieu de transphobie. Nous sommes accompagnées par
l'association 360° à Genève, et j'ai transmis les rapports de police à l'association Chrysalide, à Lyon, qui doit nous soutenir également. Nous espérons que la récente agression homophobe en
plein coeur de Paris va pousser la justice à prendre enfin en compte la réalité de ces agressions.
Vous avez réussi à prendre le dessus sur vos agresseurs. C'est un dénouement heureux qui n'arrive pas souvent. Avez-vous des conseils à donner aux autres trans?
Ma copine et moi, nous ne laissons jamais passer les insultes. Sinon, on entre dans le circuit agression, peur, mort. Souvent, les agresseurs n'ont simplement pas l'habitude qu'on leur
réponde, le simple fait d'avancer vers eux les fait reculer. Bien sûr, j'ai fait quinze ans d'escrime ancienne, ça aide à ne pas avoir peur. Mais tous les trans peuvent s'initier aux sports
de combat. Pour ma part, je leur conseille l'aïkido!
Propos recueillis par Fabien Wiktor. Photos: DR.