Stéphanie Nicot, 54 ans, directrice d'une revue de science-fiction. Père de famille devenu femme il y a trois ans, elle combat depuis pour le droit à la
transidentité.
L'adolescent mal dans sa peau évite la drague. Sa mère, inquiète de le voir lire et écouter du classique, lui achète son premier disque de rock et l'incite à
amener des copines à la maison. La première amourette à 18 ans «ne va pas au bout». Stéphane trouve alors une forme de dérivatif dans le militantisme, qui le resitue dans une lignée familiale
valorisante. En 1968, il s'engage dans les comités d'action lycéens. L'élève de khâgne rejoint ensuite la Ligue communiste révolutionnaire, qu'il quittera vingt ans plus tard pour le PS.
Entre-temps, il s'est marié avec Evelyne, sa sexualité le porte vers les femmes.
«Je passais dans le foyer du lycée et une jolie petite brune de 16 ans me traite de "sale communiste". Elle me plaît, elle a de l'audace, c'est le coup de foudre.» Leur histoire va durer près
de dix-sept ans, s'achever par un divorce en 1991. Il obtient la garde alternée puis la garde intégrale de sa fille quand son ex, avec qui il est resté en bons termes, estime qu'un modèle
masculin est nécessaire à l'adolescence.
A près de 40 ans, Stéphane se sent mal dans sa vie. Son boulot de contrôleur du Trésor à Nancy, où il a finalement
atterri, lui pèse. «J'étais fiché comme dangereux agitateur depuis des affrontements avec la police dans une manif en 1976. Du coup, pour me décourager d'accepter le poste, on m'a envoyé à
l'autre bout du pays.» Il décide de reprendre des études et commence à enseigner les lettres et l'histoire en lycée professionnel, avec plaisir. Tourmenté par son inclination inavouée, il
soulève le couvercle, lit des articles sur les trans, souvent assimilées à la prostitution du bois de Boulogne. «Je ne voyais pas le rapport avec
moi.»
Il referme la porte et poursuit sa fuite en avant. Attaché parlementaire d'un député socialiste de 1997 à 2000,
directeur artistique d'un festival à Epinal, fondateur d'une revue de science-fiction, il dort cinq heures par nuit et ne fait que militer, écrire, enseigner. En passe de prendre des
responsabilités politiques, il s'effondre. «A la Toussaint 2003, dans une réunion de travail où j'essuie des critiques, je me mets à sangloter.» Arrêt de travail. Deux mois entre la survie et
l'envie d'en finir, en boule dans son lit. «La souffrance accumulée n'était plus possible. Parce que ce qui me faisait tenir, l'engagement politique et m'occuper de ma fille, c'était fini.»
Resurgit alors le désir longtemps enfoui.
Le 5 janvier 2004, il annonce pour la première fois, à sa généraliste, qu'il est trans. Le traitement hormonal démarre
cinq mois plus tard. En deux ans, sa poitrine a poussé (à un honorable 85b), sa voix a pris un demi-ton et ses muscles masculins ont un peu fondu. Au début, la confrontation sociale est
difficile. «Pour que les gens ne se retournent plus, il a fallu un an. J'ai attaqué à 51 ans, déjà bien marqué.» En décembre 2005, Stéphanie part en «tourisme médical» avec une amie à Bangkok.
«En France, c'est remboursé par la Sécu mais c'est souvent mal fait et sous contrôle psychiatrique.» Elle passe vite sur ces huit heures d'opération dont on sort avec un néovagin, un clitoris,
un urètre reconstitué avec sa propre chair.
Depuis mai 2005, Stéphanie vit comme une fille, sauf pour ses papiers d'identité. L'Etat français exige une expertise psychiatrique pour un changement de genre.
«En quoi ça dérange une société civilisée que des êtres humains qui sont biologiquement des garçons se sentent plutôt des filles ?» Du coup, les situations ubuesques ne sont pas rares.
L'hôtesse d'aéroport qui lui dit : «Pas le passeport de votre mari, le vôtre.» L'assesseur du bureau de vote qui énonce tout haut : «Nicot Stéphane Louis Gaston», suivi de :
«Vous avez une procuration ?» En revanche, elle a obtenu une carte de sécurité sociale féminine provisoire. Qui lui a valu, s'amuse-t-elle, une lettre de la MGEN pour une mammographie.
Etre femme lui fait «découvrir le machisme». La voiture qui la suit pour mater ses jambes, les sifflements quand elle sort en hauts talons, les appels de phares
pour une jupe un peu courte. La néophyte a appris à éviter le regard masculin et à rabrouer les petits coqs. Petit à petit, Stéphanie s'est glissée dans ses nouveaux vêtements. Son bien-être
frappe. Jugée parfois comme un homme antipathique, on la trouve femme épanouie. Un vieil ami trouve seulement perturbant de passer du «il» au «elle» sans se mélanger les pinceaux. Sa fille et
ses frères ont intégré sa métamorphose. Seule ombre au tableau: elle est interdite de séjour dans la maison familiale de Saint-Cast, par sa mère et son beau-père. Mais, après vingt ans de
désert affectif, elle se sent amoureuse, et toujours de femmes. Cofondatrice de l'association Trans Aide, elle est plus que jamais en lutte contre un Etat qui considère la transidentité comme
une maladie mentale.