Monica, femme transgenre, était identifiée comme étant de sexe masculin sur ses papiers officiels, tandis que Camille, au terme de son parcours transsexuel, put obtenir les papiers
conformes à son identité de femme. Au regard de la loi, il s’agissait donc d’un couple parfaitement hétérosexuel. Mais au regard de Patrick Ollier, maire de Rueil-Malmaison, il s’agissait
de deux femmes, donc il refusa que le mariage ait lieu.
En d’autres termes, comme le remarque Eric Fassin, il ne suffit pas d’être un homme et une femme, encore faut-il en avoir l’air. Dès lors, à la lumière de la transidentité, nous comprenons mieux ce qu’est vraiment un couple hétérosexuel? C’est un homme et une femme, qui ressemblent à un homme et à une femme. Mais, direz-vous, qu’est-ce que c’est que «ressembler» à un homme ou à une femme? Comment voulez-vous que je vous réponde? Demandez à Patrick Ollier!
Est-ce à dire qu’en France, les personnes trans’ n’ont pas le droit de se marier? Cela reste à voir. Un homme et une femme vivent ensemble, ils sont mariés. La femme désire effectuer une transition. Pour cela, elle doit d’abord divorcer, et ensuite seulement, elle pourra effectuer son parcours et obtenir ses nouveaux papiers d’identité masculine, cette obligation légale étant faite pour éviter «l’inconvénient» qui résulterait d’un mariage homosexuel, puisque formé de deux hommes. Quelle horreur!
En revanche, Coccinelle, femme fatale, qui fut la grande figure du cabaret en France, dans les années 50-60, qui défraya la chronique et fit la une des magazines après son opération, put se marier en blanc, à la mairie et à l’Eglise, en 1960, avec un journaliste sportif. Cette circonstance illustre montre qu’une personne transsexuelle peut se marier en France, même à l’Eglise. A condition qu’elle constitue avec son partenaire un couple hétérosexuel selon «l’apparence» et selon les papiers, ce qui était le cas de Coccinelle.
Encore faut-il obtenir des papiers. Ce qui est loin d’être évident. En 1975, la Cour de cassation rendit un arrêt interdisant aux personnes transsexuelles le droit de changer d’état civil. Dans cette affaire, la plaignante, Line B, opérée au début des années 70, fut confrontée à un refus systématique des tribunaux pendant 17 ans. Elle porta l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui finalement condamna la France. La Cour de cassation dut réviser sa jurisprudence le 11 décembre 1992, afin de permettre aux personnes trans’ de modifier leur état civil, à condition d’avoir suivi un traitement médico-chirurgical. Pour les hommes transsexuels, cela implique une hystérectomie, c’est-à-dire qu’ils doivent consentir à une stérilisation obligatoire.
Mais dès que s’engage la transition, une personne transsexuelle se retrouve avec des papiers d’identité qui ne correspondent plus à la réalité. Dès lors, voter, candidater pour un emploi ou pour un logement, passer la douane, retirer un recommandé, retirer un chéquier à la banque, solliciter un prêt, tous ces petits actes anodins, mais essentiels à l’exercice de la vie sociale et citoyenne, deviennent très problématiques.
Pour obtenir la rectification de son état civil, une personne transsexuelle doit assigner le ministère public devant le tribunal de grande instance (TGI). Cette procédure coûte en moyenne 1800 €, auxquels il faut ajouter 1524 € d’expertise médicale. Ces expertises sont menées souvent de manière arbitraire, car très souvent, les juges refusent de statuer au regard des pièces du dossier, le certificat médical du psychiatre, celui de l’endocrinologue et le compte rendu de l’intervention chirurgicale. Le juge du TGI ordonne trois expertises judiciaires réalisées par un urologue ou un gynécologue, un psychiatre et un endocrinologue.
Ces expertises sont en général une des dernières étapes de la transition, et sont vécues par les personnes trans’ comme l’expérience la plus humiliante de leur parcours. On y pratique un toucher vaginal pour mesurer la profondeur de l’organe, ce qui est vécu véritablement comme un viol. De plus, les pratiques mises en œuvre par les médecins experts sont souvent plus que douteuses, et ce traitement humiliant constitue là encore une violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantit le droit à la vie privée.
Malgré toutes ces difficultés juridiques, qui ne sont pas seulement juridiques, on le voit aujourd’hui encore, la HALDE refuse de considérer la transphobie comme un motif de discrimination, en alléguant que le sujet est déjà traité à travers la question du sexisme ou de l’homophobie. C’est comme si l’on disait qu’il n’est point besoin de parler d’antisémitisme puisque l’on dispose déjà du terme «racisme». Ainsi les citoyens trans’ sont-ils les discriminés des discriminés.
lien de l'article : http://heterosexualite.blogs.liberation.fr/tin/2009/05/trans-citoyens-sans-droits-.html