On apprenait mardi sur le blog d’Eve Mongin, avocate française installée en Italie, l’ouverture d’une prison un peu particulière. L’établissement pénitentiaire de Pozzale, en Toscane, sera désormais réservé aux transsexuels ou transgenres, une centaine incarcérés dans le pays.
En France, impossible de connaître leur nombre exact. « Une infime minorité de la population carcérale, mais les prisons de Fleury-Mérogis, Caen ou Marseille, en accueillent quelques-uns en permanence », explique François Bès, de l’Observatoire international des prisons (OIP).
« On ne sait pas combien ils sont, car leur spécificité reste un tabou. Ils sont placés dans les prisons pour hommes ou pour femmes, en fonction de leur état civil, point-barre », se désole t-il.
Moqueries, humiliations, violences
Cette affectation automatique pose problème pour les personnes « en transition », qui n’ont pas encore obtenu –voire demandé- le changement d’état civil. Ainsi, des trans avec une apparence de femme, qu’ils aient ou non changé de sexe, se retrouvent dans des prisons d’hommes. Avec, à la clé, une intégration presque impossible, entre moqueries, humiliations et violences.
« La prison exacerbe toutes les formes de rejets : trans-phobie, homophobie ou racisme, de la part des détenus et des surveillants », regrette François Bès.
Les « solutions » sont laissées à la libre appréciation du directeur de la prison, au cas par cas. « La loi est muette sur le statut des transsexuels en général, alors en prison, c’est de la négociation, du pragmatisme, pas du droit !, explique l’avocat Emmanuel Pierrat. L’administration pénitentiaire se trouve vite démunie.»
Les mesures prises pour protéger les trans sont « loin d’être idéales », prévient donc François Bès. « Ils sont placés en cellule individuelles, dans des quartiers d’isolement normalement réservés aux délinquants « dangereux », n’ont pas accès à la plupart des activités et se promènent à des heures différentes, dans une petite cour grillagée », détaille t-il.
Pourtant, la situation s’est améliorée. En 1999, trois matons sont condamnés par le tribunal correctionnel d’Evry pour viols répétés sur des transsexuels à la prison de Fleury-Mérogis. Depuis, l’administration pénitentiaire leur porte une attention plus soutenue.
Dans cette même prison, les trans ont été regroupés dans un quartier dédié. Un membre du PASTT (association d’aide aux transsexuels) leur rend visite une fois par semaine. Une « cantine » (sorte d’épicerie carcérale) spéciale transsexuels a vu le jour. Le personnel pénitentiaire semble mieux informé et l’accès aux traitements hormonaux y est plus facile qu’ailleurs.
Refus de prescrire des traitements hormonaux
L’accès aux soins, « récrimination principale des détenus transsexuels dans leurs courriers », est loin d’être garanti partout, confirme Xavier Dupont, secrétaire général du Contrôleur des prisons.
« Certains médecins, pour des questions de moralité ou parce qu’ils ignorent tout de la question, refusent de prescrire ces traitements hormonaux », explique Laura Persell, de la commission prison d’Act Up.
Le cas de Chloé, qui purge parmi les hommes une longue peine de détention, mobilise les associations. Incarcérée dans un premier temps à Caen, cette transsexuelle dénonce dans une lettre discriminations, viols réguliers et déni des médecins, qui ont stoppé son traitement hormonal.
« Voir des attributs masculins réapparaître alors qu’on se sent femme, c’est très dur psychologiquement », note François Bès.
Chloé a commencée à se mutiler, allant jusqu’à tenter de « s’opérer elle-même ». Transférée à l’hôpital pénitentiaire de Fresnes, elle continue à réclamer l’opération. « La demande est en cours, mais cela devrait prendre encore au moins 6 mois », selon François Bès.
Chloé a également demandé un changement d’état civil, « une procédure longue », explique Emmanuel Pierrat. « Alors que leur apparence change, les transsexuels restent pendant presque trois ans officiellement des hommes », détaille l’avocat.
En Italie, une solution « tentante mais discriminatoire »
« Dans un monde idéal, les personnes incarcérées devraient pouvoir choisir elles-mêmes comment se définir, mais vu l’état des prisons en France, et des droits de l’homme en prison, ça n’est pas prêt d’arriver », regrette Emmanuel Pierrat.
L’Italie a-t-elle choisie la bonne alternative en isolant les transsexuels ? La prison leur offre un refuge et garantit la poursuite de leur traitement hormonal.
« Ranger les détenus par catégorie, trans avec trans, toxico avec toxico ou fou avec fou, c’est une solution tentante », reconnait François Bès. Pour autant, il n’adhère pas à l’initiative italienne, « discriminatoire, à l’encontre de l’objectif final de réinsertion ».
Alors que la cour suprême de Londres a autorisé pour la première fois en septembre 2009 un détenu transsexuel non opéré à intégrer une prison pour femmes, impossible de connaître l’état actuel de la jurisprudence française, ou les éventuels projets. Contacté par nos soins, le ministère de la Justice n’a pas donné suite.
(cet article est la version longue d'un article paru dans le magazine Les Inrocks du 10 février)
[France] Avis de M. Delarue, contrôleur général des lieux de privatisation de liberté concernant la prise en charge des personnes transsexuelles incarcérées (avis publié au J.O. du 25 juillet 2010) (source : Legifrance) (extrait)
Le contrôleur général des lieux de privation de liberté formule l'avis suivant relatif à la prise en charge des personnes transsexuelles incarcérées :
1. La structuration des soins préconisée par la Haute Autorité de santé doit inclure la prise en charge des personnes détenues. La ou les équipes de référence multidisciplinaires pouvant assurer cette prise en charge devront être clairement identifiées.
2. Dans l'immédiat, il convient d'identifier une équipe spécialisée d'ores et déjà constituée qui pourrait prendre en charge les personnes transsexuelles détenues.
3. Une action de sensibilisation et d'information des personnels soignants des UCSA et des SMPR devra être rapidement menée.
4. Une personne détenue manifestant son sentiment d'appartenir à l'autre sexe doit pouvoir être accompagnée dans sa démarche et orientée vers les services médicaux de l'établissement pénitentiaire.
5. Les personnes transsexuelles détenues devront bénéficier d'une information claire et précise, d'une part, auprès des UCSA sur les modalités du parcours de soins (étapes du parcours de soins, prise en charge par une équipe pluridisciplinaire, prise en charge financière...), d'autre part, auprès de l'administration pénitentiaire sur les conséquences que celle-ci entraîne sur les conditions de détention.
6. Tout au long du parcours de soins, la personne concernée doit pouvoir bénéficier, si elle en ressent le besoin, d'un accompagnement psychologique au sein de l'établissement pénitentiaire.
7. Lors de la phase préalable de diagnostic différentiel, l'administration pénitentiaire doit affecter, en tant que de besoin, la personne concernée dans un établissement situé à proximité de l'équipe pluridisciplinaire. Une fois le parcours de soins initié, elle doit garantir la continuité et la régularité des extractions médicales nécessaires et, pour cela, l'équipe médicale de référence doit communiquer, dans les meilleurs délais, les dates de consultation.
8. Tout au long du parcours de soins, l'administration pénitentiaire doit veiller à ce que l'intégrité physique de la personne soit protégée, sans que cela conduise nécessairement à son placement à l'isolement, et que celle-ci ne subisse de pressions ou de brimades d'aucune sorte ni d'aucune autre personne du fait de son projet. Dès lors que la personne concernée en fait la demande, l'encellulement individuel doit être assuré.
9. Le droit à l'intimité et à la vie privée devant être respecté, il convient que, dans l'enceinte de sa cellule, la personne concernée puisse porter des vêtements et utiliser des produits d'hygiène et de beauté en adéquation avec le sexe désiré. Par conséquent, elle doit être en mesure de cantiner de tels biens et produits.
10. Dès le parcours de soins engagé, les fouilles doivent se dérouler dans des conditions de particulière retenue permettant de respecter la dignité de la personne détenue.
Dès lors que l'irréversibilité du processus de conversion sexuelle est médicalement établie par l'équipe pluridisciplinaire ayant pris en charge la personne concernée, les fouilles devront être réalisées, dans des conditions préservant la dignité tant de la personne détenue que des personnels, par des agents du même sexe que le sexe de conversion, sans attendre que le changement d'état civil soit intervenu. Ces fouilles seront effectuées par des agents particulièrement sensibilisés par la direction de l'établissement.
11. L'affectation doit se faire au mieux des intérêts de la personne et des impératifs de gestion des établissements pénitentiaires. C'est pourquoi l'affectation dans un établissement ou un quartier correspondant à la nouvelle identité sexuelle de la personne concernée doit intervenir au plus tôt, une fois l'irréversibilité du processus de conversion sexuelle établie (3) et au plus tard au moment du changement d'état civil.
12. En tout état de cause, la priorité doit être donnée dans le processus judiciaire de modification de l'état civil (4) aux personnes détenues compte tenu des implications de cette modification dans les conditions de détention.
réf. JORF n°0170 du 25 juillet 2010 page, texte n° 32 - NOR: CPLX1019707V
"Une douzaine de transexuels en prison, tous pris en charge" Le nombre des personnes transexuelles incarcérées est actuellement d'"une douzaine" et toutes bénéficient d'une prise en charge "adaptée" et "individualisée", a indiqué lundi un représentant de l'administration pénitentiaire, en réponse à un avis du contrôleur des prisons. (source : e-llico.com, 27/07/2010)
Dans un avis publié dimanche au Journal officiel, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, a fait plusieurs recommandations pour une meilleure prise en charge des transsexuels en prison. "La gestion de la détention de ces personnes est hétérogène dès lors qu'en l'absence de principes directeurs, chaque chef d'établissement pénitentiaire apprécie, au cas par cas, les mesures à mettre en oeuvre", écrit Jean-Marie Delarue dans cet avis.
"Au niveau national, une douzaine de personnes sont concernées", sur plus de 62.000 détenus, a réagi auprès de l'AFP Stéphane Scotto, sous-directeur de l'état-major de sécurité de l'AP. Selon lui, toutes bénéficient d'une "prise en charge adaptée et individualisée".
"Ces publics spécifiques nécessitent un suivi et une attention qui ne pourraient pas être appliquées à 62.000 détenus mais peuvent raisonnablement l'être à une douzaine", a-t-il affirmé.
Les recommandations de Jean-Marie Delarue correspondent selon lui à "des dispositions majoritairement appliquées".
Les personnes concernées ont "accès aux soins" et "ont la possibilité de procéder à des cantines (ndlr: achats) exceptionnelles de vêtements" correspondant "au sexe désiré", a-t-il ajouté. Toutes sont en cellules individuelles. Une seule est hébergée dans un quartier femmes, ce qui correspond à son état civil initial.
lien de l'article : http://v2.e-llico.com/article.htm?rubrique=actu&articleID=22351
témoignage d’une transsexuelle incarcérée (courriers de novembre et décembre 2009) |
source : PRISON.EU.ORG - Le portail de l'information sur les prisons - Un site de Ban Public |