Cet après-midi, à l’Assemblée nationale, s’est tenu un colloque consacré aux questions sociales et juridiques posées en France par les parcours de changement de sexe. Ce colloque était co-organisé par HES et par le groupe d’étude parlementaire sur l’identité de genre, présidé par Michèle Delaunay, députée de la Gironde.
Ces questions sont traitées aujourd’hui pour ce qu’elles sont : des questions politiques. Elles sont donc abordées là où elles doivent l’être, à l’Assemblée nationale, et non sur un plateau de télévision pour une émission sensationnelle, dans les coulisses d’un cabaret ou dans l’intimité d’un cabinet. C’est un progrès dont nous pouvons être fiers.
Ces questions sont politiques parce qu’elles posent la question des libertés individuelles, de leurs limites et de leurs garanties. Ces questions sont politiques et elles attendent des réponses politiques, c’est-à-dire la traduction en droit de principes politiques – la défense des libertés individuelles, l’égalité des droits – appliqués à une réalité sociale.
Toutes les victoires emportées par le mouvement LGBT sur l’obscurantisme ont suivi ce chemin : c’est en prenant la mesure d’une réalité sociale, et en appliquant des principes politiques, que l’on a obtenu la dépénalisation de l’homosexualité, le retrait de l’homosexualité et de l’identité trans de la liste des maladies mentales, la reconnaissance des couples homosexuels à travers le pacs, la reconnaissance des familles homoparentales, à travers la délégation d’autorité parentale, la condamnation des propos et des discriminations qui atteignent les homosexuels… Il reste beaucoup à faire.
Ces victoires reposent sur des principes politiques simples. Chaque identité individuelle est une œuvre personnelle. Ses composantes évoluent tout au long de la vie. Pour permettre l’émancipation des hommes et des femmes, pour protéger leur liberté, alors nous devons lever les barrières que notre société dresse sur leurs parcours personnels.
Nous devons ouvrir les frontières sociales, culturelles, familiales, qui sont autant de limites à l’épanouissement individuel. Nous devons ouvrir les frontières du genre, et reconnaître que l’identité n’est pas une vérité biologique, mais bel et bien une réalisation personnelle. Ouvrir ces frontières, cela veut dire respecter celles et ceux qui les traversent en leur garantissant les mêmes droits. Celles et ceux qui franchissent les frontières de l’identité de genre doivent ainsi pouvoir vivre, circuler, travailler, fonder et protéger leurs familles selon les règles du droit commun.
Les violences et les discriminations qui atteignent les personnes trans et leurs familles reposent sur les mêmes reflexes, les mêmes conservatismes, les mêmes tabous que celles qui se fondent sur l’orientation sexuelle.
Au sein du « mouvement LGBT », il n’y a pas de distinction à faire entre un mouvement lesbien, un mouvement gay, et un mouvement trans qui auraient pris la décision tactique d’avancer ensemble. Il s’agit d’un seul et même combat. Il s’agit toujours de reconnaître à chacun la liberté de construire sa vie en dehors des chemins tracés par les traditions et les présupposés. Il s’agit toujours de placer les réalités vécues devant les vérités biologiques.
La société et la famille se sont historiquement construites sur l’opposition entre les rôles que l’homme et la femme devaient y jouer. Cette construction se heurte aujourd’hui à une réalité longtemps ignorée : le diagnostic de l’identité de genre à la naissance n’est ni fiable ni définitif. Le genre n’est pas une donnée biologique figée, mais une donnée biographique vivante.
Cela vient difficilement à l’esprit de ceux qui assignent encore un rôle social ou domestique différent aux femmes et aux hommes, à ceux qui voient encore dans la différence des sexes une source d’équilibre pour la société, et à ceux qui racontent l’histoire de notre civilisation à travers une démonstration des violences et des rapports de domination qui ont toujours opposé un genre à l’autre.
Aujourd’hui, au fil des interventions que je suis amené à faire devant des militants et des élus, a priori assez éloignés de ces problématiques, je constate que le sujet est sorti de la clandestinité, de la marginalité. Il va bien au-delà des constructions théoriques avant-gardistes que Christine Boutin fustigeait dans l’hémicycle, le 7 décembre 2004, sous l’intitulé de « la théorie du queer » ou « l’idéologie du gender », au moment où Patrick Bloche a proposé la prise en compte de la transphobie dans les compétences de la HALDE.
À la population trans, dont on n’a jamais mesuré l’importance – comptons entre 8 000 à 30 000 personnes trans en France –, il convient d’ajouter leurs familles, leurs parents, leurs conjoints et leurs enfants. La société fait subir de nombreuses épreuves à celles et ceux qui ne se reconnaissent pas dans le genre qui leur a été imposé à la naissance, et à leurs proches.
Une des premières épreuves est celle de la modification de leur état civil. La première des revendications des associations qui représentent les personnes trans est celle-là. Aujourd’hui, faute de texte de loi, le juge a fixé des exigences insupportables pour enregistrer une modification de l’état civil, et permettre à un individu de faire valoir une identité de genre conforme à celle qu’il exprime.
Mais leurs projets familiaux sont également malmenés. Aujourd’hui, tout enregistrement du changement de sexe d’un parent vient nécessairement perturber l’histoire familiale. Jamais le législateur français ne s’est intéressé à la situation des individus qui changent de sexe. Jamais il n’a légiféré contre les discriminations qui les atteignent. Jamais il n’a donné son avis sur les conditions dans lesquelles la modification de l’état civil devait être menée. Jamais il n’a pensé à protéger les familles donc l’un des adultes change de sexe. Jamais il n’a pensé à défendre le droit des personnes trans à fonder une famille.
Dans d’autres pays, comme en Espagne, un bout de chemin a déjà été parcouru. Nous avons organisé ce colloque en espérant qu’un coup d’envoi soit donné. C’est un immense travail qui attend les parlementaires français aujourd’hui.
source : Têtu blogs -
http://blogs.tetu.com/pas-de-rose-sans-epine/2009/10/21/cet-apres-midi-a-lassemblee-nationale/