Trans’: la HAS et après”, par Hélène Hazera

Publié par Hélène Hazera, Yagg, 2 mars 2010

Le rapport final demandé à la Haute autorité de santé (HAS) n’était pas sitôt en ligne, que tout de suite des messages alarmants étaient lancés: “Ils ne veulent pas payer les remboursements de soin!”. Quand le ministère annonça que les soins seraient remboursés mais qu’il avait fallu les cataloguer dans une ALD “maladie rare”, ça a recommencé: “on n’est pas des malades!”… À la longue, cette hostilité systématique risque de décrédibiliser les revendications pertinentes. Il faut bien dire que depuis 35 ans que je vis dans cette histoire, je n’ai jamais rien lu comme ce rapport. Du point de vue juridique (avec l’essai de Mme Iacub), psychologique, médical. Rien que du point de vue de l’hormonothérapie des personnes trans’, il y a une foule d’informations qui sont prodiguées qui n’avaient été réunies nulle part. Et les interactions entre antirétroviraux et hormones ne sont pas oubliées. Au hasard des pages, évidemment esquissées poliment, les cinq équipes officielles qui pendant plusieurs législatures se sont taillées une baronnie sur la vie des trans’ avec des abus de pouvoir catégoriques ne sont pas épargnées.

DE GRANDES NOUVELLES
Si l’équipe de la HAS emploie le mot “transsexuel”, un peu désuet pour le monde associatif, elle spécifie tout de suite que le terme n’est pas limité aux personnes désirant des opérations de ré-assignement génital. Parfois les grandes nouvelles se retrouvent au détour d’un paragraphe: “La préconisation de la mise en place d’un réseau de soins entourant quelques équipes de référence ne signifie nullement une obligation pour les transsexuels à s’adresser à cette structure, ce qui serait d’ailleurs contraire à la loi qui précise que chacun peut choisir librement son médecin”. Si la HAS avait voulu écrire que des équipes se sont illégalement réservées un monopole, elle n’aurait pas fait mieux. La revendication de choisir son médecin aboutit enfin. De même, l’équipe appelle à une coordination entre le système de santé, l’assurance-maladie, la sécurité sociale et le système judiciaire. Ajoutez l’Éducation nationale et le ministère du Travail, vous avez le comité interministériel enfin capable de travailler à l’amélioration de la condition des trans’. Pour le juridique, la demande de papiers correspondant à sa vie sociale est désormais aussi une demande de santé. Vous aviez lu ça déjà dans un papier officiel?

ZONES DE FRICTION
Il va y avoir des zones de friction. Pour le ministère, “dé-psychiatrisation” ça voulait dire retirer le terme “transsexualisme” de la liste des troubles mentaux. Pour les activistes, “dé-psychiatrisation” ça veut dire “dépathologiser”, que les psychiatres n’aient plus leur voix dans le parcours d’un individu trans’, que c’est la personne trans’ qui choisira (comme cela a été le cas pour les personnes qui ne voulaient pas affronter cette épreuve et qui avaient assez d’argent pour tenter l’opération qui en Grande Bretagne, qui en Belgique, qui en Thaïlande où la procédure n’était pas aussi coercitive et le travail mieux fait). Ceux qui plaident le mieux pour le retrait des psys, ce sont les psys eux-mêmes. Page 151 du rapport, un croquis présente un modèle de transition aberrant. Il demande aux aspirants trans’ un “essai de vie réelle”, au tout début de la transition, avant d’autoriser une hormonothérapie (demandant même à qui a commencé une hormonothérapie sauvage de l’arrêter pour la reprendre ensuite), c’est totalement irréaliste, quand d’un clic on trouve des hormones sur internet.

Un début de transition, chaque personne le réalise suivant sa morphologie, son environnement social; à chacun d’attendre que l’hormonothérapie (et les épilations pour les femmes trans’) lui permette de commencer à “passer” dans un autre genre sans rencontrer trop d’hostilité. On ne transitionne pas de la même façon dans un village savoyard et dans une rue du Marais. Nous avons là un pur délire de contrôle psy. Maintenant, il faut dire que rares sont les chirurgiens à l’étranger qui acceptent d’opérer une personne dont le nouveau genre n’est pas un minimum plausible. Le plus curieux c’est que le ministère de la Santé est aussi celui des Sports, et que chaque année, il y a des dizaines de sportifs qui se tuent dans des sports violents (automobile, alpinisme, plaisance, etc.). Ne faudrait-il pas envoyer nos psys, si compatissants à l’idée qu’une personne puisse se tromper et regretter après, dans les ports pour “évaluer” le navigateur prêt à appareiller avec sa famille à bord, plutôt qu’il embête une personne qui demande une opération (d’après le rapport, 1% regretterait après et on ne dit pas si c’est parce que la chirurgie était ratée)? Au risque de me faire haïr, je dois ajouter que l’idéal ce n’est pas non plus ce mail que j’ai reçu “NOUS FAISONS UNE FEMME DE VOUS EN QUINZE JOURS”, provenant d’une clinique sud-américaine qui proposait, pour un prix compétitif, le voyage en avion, le séjour à l’hôtel, la chirurgie génitale et faciale.

“CENTRES DE RÉFÉRENCE”
En même temps qu’elle préconise l’autorisation aux médecins libéraux de s’emparer du problème, la HAS annonce la création d’un ou de plusieurs “centres de référence”. On reste dubitatif. D’emblée ça a une odeur d’usine à gaz. S’il s’agit de rassembler en un point toutes les informations sur la question (depuis le temps qu’on demandait des recherches sur l’hormonothérapie, par exemple), c’est oui. Si le propos est d’offrir une maison de retraite aux vieux transphobes, c’est non. Car ont-ils dit leur dernier mot ces mandarins mis au rancart? Il y a eu appel d’offre, on attend. Pour l’instant, on voudrait surtout savoir si les médecins libéraux seront astreints à des guidances d’État reprenant peu ou prou les anciens protocoles honnis ou s’ils pourront travailler sans pressions.

TRANSPARENCE
On comprend très bien que le monde trans’, après ces 20 ans de pratiques coercitives et illégales, soit méfiant. La meilleure solution, c’est la transparence, il y a eu trop de courriers circulant en sous-main. Il aurait mieux valu les publier avec des explications. Pour les recommandations au monde judiciaire, quant à offrir un état civil digne aux personnes trans’ (et liquider l’atroce mascarade des expertises judiciaires), il va falloir attendre encore. La HAS et le ministère de la Santé – quoiqu’on ait pu entendre – sont déjà allés loin. On est en période électorale. Le poids du Vatican peut se faire sentir: dans son Lexicon, les trans’ sont considérés comme des malades mentaux (par rapport aux bûchers d’antan, c’est une sorte de progrès, non?). Les ultra-cathos vont-ils ressortir leurs missels pour maintenir des dizaines de milliers de personnes “à leur place”, dans leur situation de parias? On entend déjà des expressions du genre “l’opinion n’est pas prête à…”, chères aux politiciens.

THERMOMÈTRE DE L’OPINION
Le jeu s’étend: il va falloir compter aussi avec les médias, leur goût du sensationnel, leur ignorance, leur bassesse. Ce sont les médias italiens qui ont fait capoter le pacs dans la péninsule… On entend déjà les rires gras. Notre vie quotidienne est un thermomètre de l’opinion, nous lui sommes confrontés tous les jours, dans nos déplacements, dans notre vie sociale. Nous pouvons avancer que, s’il y a des poches de rejet violent, la population est loin d’être bornée sur ce sujet et plus compréhensive qu’on veut le faire croire. Quand le sénateur Caillavet a proposé sa loi, le débat n’était pas politisé, lisez la presse de l’époque (j’avais écrit une tribune dans Libération). Maintenant, même les trotskystes soutiennent des revendications que l’auteur de La Révolution trahie aurait peut-être taxées de “dépravation bourgeoise”. Presque chaque parti a son ou sa trans’… Le risque étant de devenir otage de querelles électorales. En revanche, le silence des institutions de lutte contre le sida, quand l’avenir d’une des communautés françaises les plus touchées par l’épidémie est en jeu, est proprement ahurissant.

En Espagne, il a fallu la grève de la faim d’une actrice et activiste trans’, Carla Antonelli, militante du PSE, pour que le Parti socialiste espagnol fasse passer la loi permettant aux trans’ espagnols non opérés l’accès aux papiers (quelques jours après, des “radicaux trans’” faisaient une manif contre elle). Cette loi espagnole, reflet d’une autre passée 10 ans auparavant en Nouvelle-Zélande, n’est pas parfaite, elle n’a suscité aucun désordre dans ces deux pays; la rumeur dit qu’il y aurait moins de demandes d’opération. Nous avons eu tellement de courage pour bâtir notre vie contre les préjugés, si le monde politique en avait un peu à son tour…

Hélène Hazera

P.S.: Parmi les commentaires repris par la HAS, un m’a laissée pantoise: “Certains ont par ailleurs considéré que l’existence d’un paragraphe sur la prévalence de l’infection au HIV était une discrimination et une stigmatisation de cette population” (page 176 du rapport). La stigmatisation, à mon avis, aurait été de ne pas aborder le sujet.

lien de l'article : www.yagg.com/2010/03/02/opinions-debats-trans-la-has-et-apres-par-helene-hazera/

 

LIRE AUSSI >

 . A l'occasion de la publication du Pré-RAPPORT DE LA HAS (en avril-mai 2009) : DES ASSOCIATIONS TRANS' APPELLAIENT déjà À LA MOBILISATION (réactions, analyses, tribunes, actions)

. La Haute Autorité de Santé ouvre une consultation publique sur le transsexualisme et sa prise en charge médicale (avril 2009)

 . Le transexualisme "dépsychiatrisé" en France (10 février 2010) revue de presse, communiqués associatifs et réactions choisies de trans', de psys et d'internautes)

Lancement d’une enquête sur la santé des Trans
source : sida-info-service, 23/04/2010
L’INSERM* lance une enquête « sur la santé sexuelle et le VIH parmi les trans résidant en France ».
Financée par le ministère de la Santé et élaborée en collaboration avec des associations de personnes concernées, cette enquête évaluera la situation socio-démographique des trans, leur parcours de transition, la santé dont le VIH et la sexualité.
L’association OUTrans se félicite de cette enquête qui « permettra enfin d’avoir des données actuelles sur la situation ce qui permettra par la suite de travailler sur des campagnes de préventions ciblées. »
Les personnes concernées désirant participer à cette enquête peuvent se procurer le questionnaire auprès des associations partenaires : Centre LGBT Paris - Ile-de-France, ACTHE, Act Up-Paris, Aides, Cabiria, Chrysalide, le GEsT, le MAG, Mutatis Mutandis, ORTrans, OUTrans et Trans Aide.
En février 2010, OUTrans a sorti Dicklit et T Claques, le premier guide réalisé en France pour les trans et leurs amants. Lire l’article sur Sida Info Service
*Institut national de la santé et de la recherche médicale