La question de la métamorphose est un thème récurrent. Ovide, dans son fameux traité des métamorphoses, recensa toutes
les expériences de métamorphoses prêtées aux humains dans les récits, contes et mythes.
Les métamorphoses ne sont pas qu'humaines, elles sont trans-règne. Ovide consigne des métamorphoses d'humains en animal, en végétal en minéral. Dans les initiations
chamaniques, les chamans traversent des expériences de changement identitaire "homme/femme". Plus tard, ils peuvent se métamorphoser en oiseau dans leur quête de l'âme capturée d'un malade
qu'ils traitent. Leur métamorphose en minéral ou en végétal, par l'intercession d'absorption de substances, est chose courante.
Dans la modernité, où toutes les transmissions de savoirs fonctionnent majoritairement sur le mode pédagogique et non plus initiatique, ces expériences ne sont plus explicitement organisées.
Pourtant de réelles métamorphoses, s'opèrent dans la modernité. Elles sont moins visibles, et s'opèrent, à bas bruit au travers de parcours et d'expériences de vie, avec une grande efficacité.
Quand elles ratent, elles apparaissent au grand jour, pour qui sait les décoder. Elles produiront des symptômes psychopathologiques précis: ceux d'une organisation traumatique interrompue.
Quand elles réussissent ses métamorphoses sont muettes dans le corps social, comme le poisson qui n'a pas conscience de l'eau."
REGARD ANTHROPOLOGIQUE SUR LA TRANSSEXUALITE ET SUR LES TRANSGENRES
Si les technologies modernes offrent à ce jour, une réalisation techniquement faisable de cette métamorphose en mobilisant de multiples professionnels (endocrinologues, psychiatres,
psychologues, chirurgiens, esthéticiens, phoniatres, jugeS pour les changement d'identité à l'état civil,…), elles ne fournissent pas de sens transcendant à cette expérience de métamorphose, un
sens qui aide à vivre, et non à déprimer.
Les transsexuels, dans la modernité, sont victimes d'un vide de sens. Beaucoup de sociétés humaines ont des exemples de transsexuels, qui ne portent pas ce
nom. De même le découpage entre homosexuels, transsexuels ou travestis ne se fait pas comme dans les sociétés occidentalisées.
En voici quelques illustrations :
- Les Berdaches, dans de nombreuses tribus nord américaines, désignent, aujourd'hui encore, soit des hommes qui se conduisent comme des femmes (l'inverse est
d'ailleurs beaucoup plus rarement décrit), une personne qui a changé de sexe, un homme-femme, ou une personne qui n'est ni homme ni femme (Masters). Les berdaches peuvent se marier avec un
homme, mais n'ont pas d'enfants.
- Il en va de même pour les Fa'afafines, dans les Iles Samoa.
- Dans les Iles Tongas, l'irruption des modes de vie occidentaux et la théorie occidentale du découpage dimorphique est venue perturber l'existence de cette communauté appelée
Fakaféfine.
- Les Xaniths vivent dans le sultanat d'Oman. Ce sont des prostitués mâles, décrits comme étant des êtres doux, impuissants et efféminés. Leur fonction sociale est
reconnue. Leur identification est non-masculine. Elle peut être temporaire. Sitôt qu'ils se montrent capables "d'être des hommes comme les autres", ils ne sont plus Xanith. Un
rapprochement peut être opéré avec l'archétype de la bissexualité dans l'antiquité grecque et romaine, à savoir la bissexualité successive chez un même être humain.
- Les Hijras forment une communauté de castrats, reconnue en Inde. Ils seraient 100 000 à travers l'ensemble de l'Inde. Cette communauté est un monde à part qui ne
répond qu'à ses propres lois. Elle est une sorte de secte, de mafia, au demeurant fort efficace. Cette communauté est en marge de la société indienne mais elle y est néanmoins bien intégrée.
Les commuautés Hijras se réunissent en congrès à travers l'Inde. Les Hijras forment une communauté très structurée de chelas (disciples) regroupées autour des gurus.
Une parenté s'y organise. La dépendance financière au guru est totale. Les indiens n'aiment pas particulièrement les Hijras. Ils les craignent, en fait. Les Hijras suscitent
de l'inquiétude. Si on refuse une aumône à un Hijra, ce dernier relève son sari pour montrer ce qu'il n'a plus. Et c'est cette vision organisée de l'effroi qui est censée porter malheur et
attirer le mauvais œil.
En Occident, les transsexuels nous montrent que les catégories d'identité de genre (masculin, féminin) ne sont pas des identités naturelles, mais des fabrications sociales et
culturelles, strictement verrouillées, et étroitement surveillées. Ces catégories sont le socle qui permet de pérenniser un mode d'existence social, économique et culturel dominant
dans une société, à un moment donné de son existence. Si nous nous fions au destin de l'homosexualité, il semblerait que la modernité contemporaine ait fait le choix d'inclure, d'intégrer,
d'absorber les marginalités, pour les dissoudre dans les modèles normatifs de la majorité (mariage homosexuel, homoparentalité,…), ce que Michel Foucault prédisait et dénonçait déjà avec le
plus grand mépris pour cette forme de capture et de formatage sexuel.
Revenons à l'identité de genre (masculin/féminin). Des stéréotypes réputés normatifs et ethnocentristes de l'identité sexuelle "dimorphique", rangent chacun exclusivement ou du côté
des femmes ou du côté des hommes. Au-delà de la contestation du binarisme biologisant sous-jacente à la conception de l'identité sexuelle, il y a aujourd'hui les
transgenres. Ils nous montrent que les identités de genre ne sont ni naturelles, ni stables au cours d'une même existence."